Le Nid de l'Aigle

Ce sentier, l'un des premiers inventés par Claude-François Denecourt, commençait au Carrefour du Mont Pierreux et traversait ensuite la futaie des Fosses Rouges, « ainsi nommée parce que jadis, par suite de l'extraction des pierres qui servirent à bâtir le couvent des Filles-Bleues, il est resté dans ce canton de la forêt des fondrières dont les parois ont longtemps conservé une teinte rougeâtre. » C.F. Denecourt, 16e édition, 1856. Ci-dessous, un extrait de la carte du Touring Club de France, éditée en 1918, j'ai surligné en bleu le sentier décrit dans cet article.

Le Mont Ussy

Le Nid de l'Aigle, gravure de Charles-François DaubignyLe Nid de l'Aigle, gravure de Charles-François Daubigny.
 
La futaie des Fosses Rouges comportait autrefois de nombreux arbres remarquables, Denecourt en nomma de nombreux comme le Washington, le Lafayette, le La Tour d’Auvergne, le Sébon, le Biard, le Turner, le Memling, le Méry, le Barhélemy, l’Orgiazzy, le Faverney, le Bardenet, le Mainvielle-Fodor, les Deux Poinsinet, le Claude Lefèvre, le Bignan, le Pitre Chevalier, l’Alphonse Bouchard, le Jules Favre. Ces arbres ont tous disparu, mais il reste encore quelques beaux chênes comme celui-ci en bouquet de quatre tiges.

Le Nid de l'Aigle

Après avoir traversé la futaie des Fosses Rouges, le sentier entrait dans celle du Nid de l'Aigle. Ici aussi, Denecourt et Colinet donnèrent de nombreux noms aux arbres remarquables de leurs époques, comme par exemple Le Bouquet de Balzac, le Charles Boissay, le Victor Rousseau, le Paul Peters, le Taxile Delord, le Clovis Michaux, le Théodore de Banville, le Malbranche, le Blandin, le Bouquet de Saint-Jean, le Laïs, le Porgéron, le Zurbaran, le Overbeck, le Kaulbach, le Paul Huet, les deux Marcelots, le Favart, le Darmon. À quelques exception près, ces arbres ont aujourd'hui tous disparu. D'après Denecourt la futaie du Nid de l'Aigle fut ainsi nommée « parce qu'autrefois on a vu des aigles s'y arrêter et y faire leur nids. » Guide du voyageur du palais et de la forêt de Fontainebleau, 1840.

L'entrée de la futaie du Nid de l'Aigle par la route de la Fontaine

L'entrée de la futaie du Nid de l'Aigle par la route de la Fontaine, ainsi nommée car elle se dirige vers la Fontaine du Mont Chauvet.

L'entrée de la futaie du Nid de l'Aigle par la route de la Fontain

L'entrée de la futaie du Nid de l'Aigle par la route de la Fontain
La route de la Fontaine en automne et en hiver.

Bouquet du Nid-de-l’Aigle.

Bouquet du Nid-de-l’Aigle

Ce chêne en cépée a aujourd'hui disparu, il fut beaucoup photographié et des cartes postales le représentant furent éditées au début du XXe siècle.

Le Charles Boissay (E).

Stage photo Fontainebleau

Charles Colinet, le second Sylvain, continuateur de l’œuvre de Denecourt, nomma un grand chêne du Nid de l’Aigle, « se divisant en trois beaux rameaux », le Charles Boissay, en hommage à un journaliste scientifique très actif dans la presse de la fin du XIXe siècle. En 1873, Charles Boissay publia un livre avec Camille Flammarion : « De Paris à Vaucouleurs à vol d'oiseau : relation d'un voyage scientifique en ballon ». Flammarion effectua le premier vol en ballon de Paris à Fontainebleau le 30 mai 1867, Un second voyage se déroula le 9 juin 1867, de Paris à Barbizon. Un passage sur le sentier du Mont Ussy porte le nom de Flammarion.

Stage photo Fontainebleau
Chêne Charles Boissay.

Le Feu-d’Artifice.


« Les uns l’appellent la Girandole, les autres le Bouquet du feu d’artifice. Quant à nous, parrain de tant de baptèmes, nous l’appelons le bouquet de Saint-Jean, en mémoire au célèbre peintre de fleurs. » Denecourt, 18e édition, 1876. Le Feu-d’Artifice est l'un des plus gros chêne de la forêt de Fontainebleau. Voir mon article spécifique sur le Feu d'artifice.

Le feu d'Artifice ou Bouquet de Saint-Jean, carte postale du début XXe siècle.

Fils d’un tonnelier, Simon Saint-Jean (1808-1860) entra à l'école de Beaux-Arts de Lyon et travailla dans un atelier de soierie. En 1834, il participa à sa première exposition de tableaux au Salon de Paris. Il rencontra ensuite un certain succés pour ses tableaux de fleurs. En 1845, Charles Baudelaire le critique durement : « Saint-Jean qui est de l'école de Lyon, le bagne de la peinture, l'endroit du monde où on travaille le mieux les infiniment petits. Nous préférons les fleurs et les fruits de Rubens, et les trouvons plus naturels. Du reste, le tableau de M. Saint-Jean est d'un fort vilain aspect, c'est monotonement jaune. Au total, quelque bien faits qu'ils soient, les tableaux de M. Saint-Jean sont des tableaux de salle à manger, mais non des peintures de cabinet et de galerie ; de vrais tableaux de salle à manger. »

Fleurs, Simon Saint-Jean, 1856. Musée de l'Ermitage.

La futaie du Nid de l'Aigle.





Carrefour du Nid-de-l’Aigle.



Carrefour entre la Route de la Fontaine, la Route Adélaïde et la Route Villate.
Adélaïde d'Orléans (1777-1847) est une des sœurs de Louis-Philippe Ier, roi des français de 1830 à 1848. Le comte Oscar de Villate, capitaine d'artillerie, est une des victimes de l'attentat perpétré contre Louis Philippe le 28 juillet 1835. Guiseppe Fieschi, ancien soldat de Napoléon Ier, utilise une machine infernale faite de vingt-cinq canons de fusils juxtaposés, pour tenter de tuer le roi au moment où celui-ci passe en revue la garde nationale sur le boulevard du Temple à Paris. On compte dix-huit morts et de nombreux blessés. Arrêté sur les lieux du crime, Fieschi est condamné et guillotiné avec ses deux complices le 19 février 1836. L’attentat contre Louis-Philippe contribua à jeter l’opprobre sur les républicains qui furent sévèrement réprimés.


 Au Carrefour du Nid de l'Aigle se trouvait autrefois un arbre remarquable aujourd'hui disparu.

Route Villate.




Lorgnette d’Alexandre Dumas.



Alexandre Dumas (dit aussi Alexandre Dumas père) est un écrivain né le 24 juillet 1802 à Villers-Cotterêts et mort le 5 décembre 1870 à Puys, près de Dieppe. De 1824 à sa mort, il est l'un des plus célèbres écrivains français et surtout l’un des plus lus. Le 30 novembre 2002, à l'occasion du bicentenaire de sa naissance, sa dépouille fut transférée au Panthéon de Paris.

Portrait d’Alexandre Dumas en 1855 par Nadar. 

Les roches de Monte-Christo.






Le Comte de Monte-Cristo est un roman d’Alexandre Dumas, écrit avec la collaboration d’Auguste Maquet et dont la publication commence durant l'été 1844. Le roman fut publié en feuilleton dans la presse et en même temps en volume jusqu’à la fin 1846. Alexandre Dumas a tiré de son roman trois pièces de théâtre, la première, intitulée Monte-Cristo fut jouée en deux parties les 2 et 3 février 1848 au Théâtre-Historique. Les deux premières transpositions au cinéma remontent à 1908 et sont américaine et française.

Première édition illustrée par Paul Gavarni et Tony Johannot, 1846.

Sur le sentier.







Hêtre d'Alexandre Dumas (F).

Cet arbre est mort en 2023. Celui nommé par Denecourt avait disparu, mais ce beau hêtre en bouquet était à la même place que son aîné. 

Roche de Rabelais (G).


Sur le sentier.





Rocher de Jacques et Anna (H).



« Mais voilà que le sentier incline à gauche et gravit pour nous faire passer dans une enceinte, bordée d’un côté par le berceau d’André-Joseph, et de l’autre par le beau rocher de Jacques et Anna (H), deux personnes à qui nous devons d’avoir pu faire ce sentier, en 1882. » 27e edition du guide Colinet. Dans la tradition catholique et orthodoxe, Jacques (Joachim) et sainte Anne (Hannah) sont les parents de la Vierge Marie.

 Dessin d'Antoine-Laurent Castellan, c.1830.

Sur le sentier.



Chêne Edmond Rostand.


Edmond Rostand (1868-1918) est un dramaturge et poète, auteur de la pièce « Cyrano de Bergerac » jouée pour la première fois en 1897 au Théatre de la Porte-Saint-Martin. En 1900 son nouveau drame, « l’Aiglon » remporte aussi un grand succés. Edmond Rostand est élu à l’Académie Française en 1901.

Edmond Rostand (1868-1918).
 
Sur le sentier.






Chêne d’Artémise.


Artémise II, était la reine d’Halicarnasse en Gréce. Elle épousa son frêre Mausole, à la mort de ce dernier en 353 av. J.-C., elle décida d’ériger en sa mémoire un grand tombeau. Cet impressionant monument funéraire prit le nom de Mausolée d’Halicarnasse, c’était l’une des sept merveilles du monde antique. Artémise mourut deux ans après Mausole.

Artémise se préparant à boire les cendres de son mari Mausole.
Attribué à Francesco Furini, vers 1630. Yale University Art Gallery.

La Chaise-Marie.

L’histoire commence en 1705, dans un château situé en Espagne. Là vivait la jeune Maria, enfant unique d’un seigneur. Maria était une jeune fille solitaire, n’ayant que peu de compagnies. Sa situation s’aggrava quand commença la guerre de Succession avec la France. Son père, voulant la protéger des bandes de mercenaires qui menaient une guerilla dans la région, lui interdisa de sortir. Un soir, un régiment français se présenta devant le château, on ouvrit les portes et les soldats déposèrent le corps d’un jeune officier grièvement blessé. Maria lui prodigua des soins, bientôt l’homme resta seul, la troupe devant continuer sa route. Luttant contre la mort, le jeune officier survécut à ses blessures et une longue convalescence s’en suivit. Maria se transforma de garde malade en amoureuse, sentiment partagé par le militaire français. Sa santé rétablie le jeune homme dut rejoindre son régiment. Une grande mélancolie s’empara de Maria qui n’arrivait pas à oublier son amour déçu. Hélas, un malheur bien plus grave vint la frapper, son père succombant à une maladie soudaine. La guerre s’intensifia en Navarre et bientôt elle dut quitter son château qui fut incendié et se réfugier avec une parente dans un couvent. L’insécurité régnante, elles décidèrent de quitter leur pays déchiré par la guerre pour aller se réfugier en France.



Les deux femmes traversèrent les Pyrénées, mais une fois arrivées à Toulouse, la vieille parente mourut des suites de ce voyage éprouvant. Maria se retrouva isolée dans un pays qu’elle ne connaissait pas. Elle entra au noviciat de Toulouse. Quelques années plus tard, ayant francisé son nom en Marie, son ordre l’envoya au couvent des Filles-Bleues de Fontainebleau. Elle se prit d’affection pour cette ville et sa forêt. Prodiguant ses soins à l’hospice tout proche du couvent, elle était aimée de tous pour sa gentillesse et sa compassion. Marie prenait plaisir à cueillir des herbes aromatiques et à ramasser des champignons dans la grande futaie du Nid-de-l’Aigle. Elle aimait marcher dans les sentiers entourés des grès fantastiques du Mont Ussy, rejoignant la chapelle de Notre-Dame du Bon Secours où elle priait avec ferveur pour l’âme de son bien-aimé, qu’elle n’espérait plus revoir que dans un monde meilleur.



Un soir, on sonna à la cloche de l’hospice, les bonnes sœurs ouvrirent et découvrirent un militaire blessé par des brigands alors qu’il traversait la forêt. On porta le moribond dans une chambre où elle se mit à nettoyer ses plaies. Absorbée par les soins, Marie n’avait jeté qu’un bref coup d’œil à cet officier qui finit par rendre son âme à Dieu. Elle se mit alors à regarder l’infortuné et poussa un cri déchirant et tomba inanimée sur le corps de l’homme qu’elle avait reconnu. C’était son ancien amour qui venait de mourir et cette fois elle n’avait pu le sauver. La pauvre Marie perdit alors la raison. Dans ses rares moments de lucidité, elle se rendait en forêt auprès d’une étrange roche et là s’abandonnait à de longues prières entrecoupées de sanglots. Elle appuyait ses lèvres sur le grès froid, murmurant le nom de son amour perdu. Puis elle se taisait, écoutant le vent dans les feuillages des grands arbres voisins. Depuis lors, cet étrange rocher prit le nom de Confessionnal de la sœur Marie.

 Gravure d’Antoine-Laurent Castellan, 1840.

Sentier des Ruines.


Nous sommes ici sur une ancienne carrière de grès avec ses éboulis d'écales, rebut de la taille des pavés. Denecourt déplora la destruction des rocher par les carriers, en 1864 il écrivait à propos de cette partie du sentier : « J'aurais voulu détourner vos pas de ces anciens ateliers de destruction, mais leurs débris encombrent tout l'espace qui nous sépare du chêne Charlemagne, vers lequel nous nous dirigeons. En traversant, le cœur serré, ce vaste champ de désolation, voué éternellement à la laideur et en grande partie à la stérilité, vous pourrez, du moins, vous faire une idée de l'horrible métamorphose que l'exploitation des grès mal entendue, on ne saurait trop le redire, fait subir à nos remarquables rochers depuis près d'un siècle. C'est du règne de Louis XV, de triste mémoire, que date l'origine de cet abus. » 





 Carrière de la Chaise-Marie, par Jean-Baptiste Corot, c. 1830.
Musée des Beaux-Arts de Gand.

Arcade des Barbares.


Grotte des Ruines.


La grotte des Ruines n'existe plus, la plaque de grès s'est écroulée en 2013. Denecourt l'avait aussi baptisé la grotte Genseric, d'après le nom d'un roi des Vandales et des Alains et qui fonda au Ve siècle le royaume vandale. Genseric fut l'un des principaux acteurs de la chute de l'Empire romain d'Occident. Pour le Sylvain, les carriers étaient aussi barbares que les Vandales.

Sur le sentier.


 
Chêne de Pelloquet.


Arbre remarquable nommé par Claude-François Denecourt, ce chêne est mort en 2033. Théodore Pelloquet (1820-1868), était un journaliste et critique d’art, connu aussi sous le pseudonyme de Frédéric Bernard. Personnage excentrique, il a vécu une vie de bohème. Pelloquet participa au livre hommage à Denecourt, publié en 1855. Dans sa contribution intitulée : « La forêt de Fontainebleau et M. de Chateaubriand », il assure qu'il y a des modes pour les paysages comme pour le reste et cite Sénancour comme « le premier écrivain éminent qui rendit justice à la forêt depuis les poètes de la Renaissance. » Pelloquet est aussi l'auteur d’un guide sur la forêt publié en 1853 et qui prend place dans la « Bibliothèque des chemins de fer » édité par Hachette. Militant républicain notoire, la police de l'Empire le surveillait ce qui l'enchantait fort car cela lui rappelait le bon temps des banquets qui firent tomber Louis Philippe. Cet opposant à Napoléon III était bien innofensif, plus porté sur la fée verte absinthe que sur la conspirtation et les société secrètes.


Philibert Audebran, dans son livre de souvenirs intitulé « Derniers jours de la Bohème », nous raconte à son tour qui était Pelloquet : « Hélas ! c'était un homme de 1848 ! Pas très grand, barbu, turbulent, emporté, plus que simplement mis, parce qu'il n'avait pas de quoi renouveler sa garde robe. Très ferré sur les arts du dessin, critique un peu à la façon sans gêne de Gustave Planche, il a compté comme juge auprès des peintres et statuaires. C'est lui qui, le premier, a signalé les beautés de l'Angélus et, à cette occasion, Millet lui a adressé une lettre, non de remerciements, mais d'observations des plus intéressantes. Mais il en a été de cet esthète comme de tant d'autres ouvriers du journal : la misère l'a jeté à bas sur le champs de bataille. En 1870, un peu avant que l'empire tombât, brisé par les sévérités du métier, par l'âge, par l'indigence, par le manque d'organe où exercer son savoir, il a senti sa raison vaciller. Sous le coup de la détresse et de l'apathie, il a quitté Paris sans savoir où il allait et a été retrouvé errant, aux environs de Nice, arrêté par la gendarmerie, qui l'avait pris pour un vagabond, d'abord ; puis, parce qu'il ne parlait pas, pour un malfaiteur. Heureusement, il a fini, peu après, dans un dépôt de mendicité. Et, toute sa vie, en disciple d'Aristote, il avait prêché le beau, le bon, le vrai ! »

Théodore Pelloquet, dessin de Nadar.

Dans une lettre à Pelloquet, Jean-François Millet écrivait : « Je suis très heureux de la manière dont vous parlez de mes tableaux qui sont à l'Exposition. Le plaisir que j'en ai est grand, surtout à cause de votre façon de parler de l'art en général. Vous êtes de l'excessivement petit nombre de ceux qui croient (tant pis pour ceux qui ne le croit pas) que tout art est une langue, et qu'une langue est faite pour exprimer des pensées. » Toujours prompt à défendre les artistes qu'il aimait, Pelloquet se battit en duel à l'épée, afin de laver l'honneur d'Édouard Manet et de son tableau Olympia. Il est mort à Nice, le 23 septembre 1868, dans l'hospice d'aliénés de Saint-Pons.

Théodore Pelloque, dessin de Claude Monet, 1858.

Chêne de Monselet.


Charles Monselet (1825-1888) est un romancier, poète, auteur dramatique, journaliste, bibliophile, dessinateur, véritable « polygraphe aux accents éclairés », selon son ami l'éditeur Sylvain Goudemare. Né à Nantes, il quitte sa ville natale pour Bordeaux où son père est libraire avant de rejoindre Paris. Monselet se fait connaître par des parodies des feuilletons d’Alexandre Dumas et d’Eugène Sue. Sa préface aux Mémoires d’Outre Tombe de Chateaubriand, publiés en feuilleton dans le jounrnal La Presse, lui assure une petite notoriété. Chroniqueur pour de nombreux journaux, il deviendra ensuite une véritable « vedette du journalisme ». Fondateur du journal Le Gourmet, Monselet est un des premiers journalistes culinaires, ses contemporains le surnomme « le roi des gastronomes ». C’est un proche de Charles Baudelaire, Gérard de Nerval et Théophile Gautier, il est l’ami intime des frères Goncourt. En 1874, il publie : « Gastronomie. Récits de table » livre dans lequel il raconte ses aventures épicuriennes. Dans cet ouvrage inclassable, on découvre des recettes étranges comme la Turlutine d’état-major à base de grenouilles, tortues et champignons, des poémes sur la choucroute et l’andouillette, une mise au point historique sur le poulet partagé entre Louis XIV et Molière, le récit d’un duel au cochon de lait inventé par le comte de Cagliostro et bien d’autres savoureuses histoires culinaires.

 Caricature par Étienne Carjat. 

Avec une certaine ironie, Monselet écrit dans son livre « La Franc-maçonnerie des femmes » publié en 1856 : « Les jouissances matérielles ne sont que secondaires pour moi ; c'est dans l'ordre spirituel que s'agitent la plupart de mes caprices. En voulez-vous un exemple ? Un soir, dans un salon où cinquante personnes environ étaient réunies, je m'amusais à penser tout haut. Rare jouissance, n'est-ce pas ? plaisir inestimable ! Un quart d'heure après, un domestique vint me présenter mon chapeau, et j'avais fait autre chose cependant que de dire à quelques femmes qu'elles étaient laides et à quelques hommes qu'ils manquaient d'esprit ».

Le journaliste Maxime Rude se souvient d'un dîner  avec Monselet qu'il raconte dans son livre « Confidences d'un journaliste » publié en 1876, le gastronome évoque ses souvenirs de bohèmes puis déclare : « Oh ! la bohême ! la bohême ! Qu'on n'en parle plus ! C'est horrible. L'hospice, la maison de santé, qu'on en parle encore moins ! C'est affreux. Cachons nos misères, cachons nos plaies, si nous ne pouvons les guérir. Souffrons dans un coin, — mourrons n'importe où, mais plus de maison de santé, plus d'hôpital ! » En dehors de sa chère gastronomie, Monselet fut un farouche défenseur de l'identité culturelle bretonne. De nos jours, le prix Charles Monselet récompense chaque année les meilleures tables de Nantes, où une rue porte son nom, ainsi qu’à Bordeaux.

Le Roland.


Ce chêne est mort en octobre 2019, il était âgé d’environ 400 ans. Le Roland a succombé au poid des siècles et aux attaques du Grand-Capricorne dont on pouvait lire les cavernes hiéroglyphiques qui sillonnaient son bois dénudé lorsqu'il était encore debout.


Roland dit le preux, était un chevalier franc, comte des Marches de Bretagne, né en 736 et mort en 778 à la bataille de Roncevaux. Après avoir pillé Pampelune, l’armée de Charlemagne laissa une arrière-garde commandée par Roland, pour protéger sa route vers le nord. Les Vascons, ancêtres du peuple basque, attaquèrent les troupes de Roland dans un col des Pyrénées. Roland et ses hommes furent massacrés. Trois cents ans plus tard, La Chanson de Roland remplaça les Vascons par des Sarrasins, et la mort de Roland devint le symbole de l'affrontement entre chrétiens et musulmans. Ainsi naquit la légende de Roland.

Le Roland, par Armand Cassagne (1823-1907).

En 1808, Claude-François Denecourt s'engage dans la Grande armée du Ier Empire. En avril 1809, il quitte Luxeuil en Franche-Comté, chef-lieu de son canton de résidence, pour rejoindre Rocroi dans les Ardennes. Il est alors incorporé au 88e régiment de ligne en tant que voltigeur. Sa compagnie fait partie de la brigade du général Florentin Ficatier du 2e corps d’armée commandé par le maréchal Jean Lannes, duc de Montebello. De Rocroi, le régiment de Denecourt entame une marche de plus de 700 km pour rejoindre le sud de l'Allemagne. Le 22 avril 1809, Napoléon envahit l'Autriche, le 12 mai Denecourt entre dans Vienne. L'armée autrichienne a battu en retraite pour se positionner sur la rive droite du Danube. L’armée française franchit le fleuve par l’île de Lobau et attaque les Autrichiens le 21 mai. C’est le baptême du feu pour Denecourt et il sera sanglant, plus de cinq mille soldats français sont tués pendant les deux jours que dure la bataille. Les ponts construits par les sapeurs français ne résistent pas aux flots du fleuve et les renforts ne peuvent plus passer, c’est le repli. Le 22 mai au soir, vers les six heures, le maréchal Lannes est blessé par un boulet de canon qui lui fracasse une jambe, transporté à Vienne, il y meurt le 31 mai. C'est un coup dur qui est porté à l'Empereur, il ne perd pas seulement un de ses meilleurs maréchaux, mais aussi un ami cher. Très populaire au sein de la troupe, Lannes était surnommé par ses hommes le « Roland de l'Armée ». En souvenir de ce grand soldat qu'il admirait, Denecourt nomma ce chêne du Nid de l’Aigle, Le Roland.

Napoléon au chevet de Lannes blessé, par Paul-Émile Boutigny, 1894. 

Le Roland après sa chute en octobre 2019.




 Le Roland en 1918, en arrière fond, le Charlemagne.

Le Charlemagne.


Ce chêne remarquable, abattu par une tempête dans la nuit du 17 au 18 février 1925, était un des arbres les plus célèbres de la forêt de Fontainebleau, avec le Pharamond, le Jupiter, le Bouquet du Roi et le Briaré. Il était aussi l'un des plus vieux, avec plus de six mètres de circonférence, soit environ six siècles. « Le sentier en pénétrant dans une étroite gorge qui va aussitôt s'élargir, nous montre sous son plus bel aspect, au milieu d'un amphithéâtre de rochers, ce chêne réputé millénaire, et qui, par conséquent, serait le contemporain du grand empereur d'Occident, dont il porte le nom. La foudre a brisé sa cime ; mais quelle grandeur encore, et quelle majesté dans cette ruine vénérée ! Ce que nous éprouvons à sa vue ce n'est pas seulement un sentiment artistique ; la fibre du vieux Gaulois frémit en nous ; et le respect se mêle à notre admiration. » Denecourt 17e édition, 1873.

Voir notre iconographie spécifique au Charlemagne ici.

Grotte de Ganelon (J).


Personnage de La Chanson de Roland, Ganelon de Hautefeuille est le beau-frère de Charlemagne et le beau-père de Roland. Ganelon croit que Roland veut sa mort, désireux de se protéger, il s'entend secrètement avec le calife Marsile, roi musulman de Saragosse. Leur pacte convient que les Sarasins attaquent l'arrière-garde de Charlemagne conduite par Roland. Après la mort de son neveu, Charlemagne bat les Sarrasins puis rentre à Aix-la-Chapelle où il fait juger Ganelon. La famille du traître tente de le défendre et Pinabel lance un défi à quiconque souhaiterait condamner Ganelon. Les nobles essayent de convaincre Charlemagne d'être clément, mais Thierry d'Anjou relève le défi et remporte la victoire sur Pinabel. Selon le jugement de Dieu, Ganelon, déclaré coupable de félonie, est condamné à être écartelé par quatre chevaux. Tous ses proches, qui s'étaient portés garants pour lui, sont pendus. Le personnage légendaire de Ganelon est devenu l’archétype du traître. Dans la Divine Comédie de Dante, Ganelon est relégué sur les rives du fleuve le Cocyte, au plus profond de l'Enfer, en punition de sa trahison.

L’écartèlement de Ganelon, par Jean-Gabriel Daragnès.

Vallon des Paysagistes.
 


« Le Charlemagne est situé au beau milieu du vallon des Paysagistes, qu'on appelle parfois la vallée de Ronceveaux. Il est entouré d'un cortège de vieux chênes qui sont ses paladins et ses pairs. » Denecourt 1873. Dans ce vallon bordé de bloc de grès se trouvait autrefois de nombreux chênes remarquables nommés par Denecourt : le Jean-Bérard, le Hobbéma, le Jean-sans-Terre, le Tanneguy du Châtel, le Sauvager, le Binon (Jean-Baptise), le Witikind, le Caton, le Torelli, le Lacépède le Louis Dupré et le Duguesclin. Aujourd’hui, la plupart de ces arbres sont morts de vieillesse, on retrouve leurs ruines dressées, refusant de tomber contrairement à leur maître à tous, le Charlemagne qui a fini par succomber sous le poids des siècles.




Le chêne tordu.



Sur le sentier.



Stage photo forêt de FontainebleauStage photo forêt de Fontainebleau

Le charme d’Hélène (K), aujourd'hui disparu.
Au pied de cet arbre, se trouvait une roche où la duchesse d’Orléans se reposa lors de sa visite du sentier, le 15 mai 1847, en compagnie de Denecourt qui écrit : « Nous aimons à évoquer ce pieux souvenir d’une princesse dont l’existence fut si cruellement éprouvée, et qui a daigné encourager par le don d’un magnifique présent, et, mieux encore, par de bonnes paroles, le culte que nous avons voué à notre chère forêt, et la mission que nous nous plaisons à remplir pour en célébrer les beautés ».
 
Le chêne Philippe Benoist  (L).
Chêne remarquable aujourd'hui disparu. Philippe Benoist (1813-1905?), né à Genève, peintre et lithographe, élève de Louis Jacques Daguerre, il réalisa plusieurs lithographie du château de Fontainebleau pour le compte de Claude-François Denecourt.
 
Stage photo forêt de Fontainebleau
Le chêne Philippe Benoist.
 
Le Desgoffe.
Chêne remarquable aujourd'hui disparu. Alexandre Desgoffe (1805-1892), était un peintre de l'École de Barbizon, il fut l'élève de Louis Étienne Watelet et de Charles Rémond en 1826 avant d'entrer, en 1828, dans l'atelier d'Ingres. Il est l'un des premiers à peindre le site de Barbizon, avant 1830. Peintre décorateur, il participe à la décoration de l'hôtel de ville de Paris, de la bibliothèque Sainte-Geneviève, de la Bibliothèque nationale de France, pour les chapelles baptismales de l'église Saint-Pierre-du-Gros-Caillou et de l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris. Sa fille, Aline, épouse le peintre Paul Flandrin en 1852.

Fontainebleau vu du Rocher d'Avon par Alexandre Desgoffe.

Mare du Mont-Ussy.





Hêtre tortillard.



Cet arbre remarquable est un hêtre dit tortillard (fagus sylvatica tortuosa). Il semble être l'unique représentatnt connu de cette variété du hêtre commun dans la forêt de Fontainebleau. Mise à jour de 2020, cet arbre a été gravement endommagé par un fort coup de vent.

Sur le sentier.




Roches Deumier (N).



Jules Lefèvre-Deumier (1797-1857) est un écrivain et poète de l’école Romantique. Son vrai nom était Lefèvre, auquel il ajouta Deumier en hommage à une tante qui lui avait légué sa fortune, assez considérable. Profondément romantique, ses modèles étaient André Chénier et Byron. Comme celui-ci, il partit aider les insurgés, non Grecs mais Polonais en 1831. Il y fut blessé et fait prisonnier par les Autrichiens. Son père, fonctionnaire du ministère des Finances, était un farouche adversaire des romantiques, qu’il ridiculisait en écrivant lui-même des poèmes et des parodies. Les relations de Jules Lefèvre avec son père n’étaient que plus difficiles, le titre d’un de ses premiers poèmes est d’ailleurs « Le Parricide ». Il fut très admiré par la nouvelle génération, notamment par Alexandre Soumet et Victor Hugo qui s’inspira peut-être de son poème « Méditation d’un proscrit sur la peine de mort » pour son « Dernier Jour d’un condamné ». À la fin de sa vie, dans les années 1850, il expérimenta parmi les premiers le poème en prose dans son « Livre du Promeneur ». Il se rangea du côté de Napoléon III qui le fit bibliothécaire à l’Élysée puis aux Tuileries.

 Jules Lefèvre-Deumier, dessin de Nadar.

Oasis de Gentil-Bernard (O).



Pierre-Joseph Bernard (1708-1775), est un poète, goguettier et dramaturge, qui passait pour l’Anacréon de la France. C’était un ami de Voltaire qui lui donna le surnom de Gentil-Bernard. Le qualificatif de « gentil » désigne l'érotisme de la poésie de Bernard. Fils d'un sculpteur de Grenoble, Bernard fit ses études chez les Jésuites de Lyon puis devint clerc chez un procureur à Paris. En 1734, il s'enrôla dans l’armée du roi et prit part à la guerre de Succession de Pologne, sous les ordres du vieux maréchal de Coigny qui commandait l'armée d'Italie. Bernard se distingua aux batailles de Parme et de Guastalla. Dans ses moments de repos, il s'occupait à rimer. Vers 1736, le jeune poète se fit connaître par de petits vers publiés dans l’Almanach des Muses. En 1737, il compose le livret de l’opéra « Castor et Pollux » deuxième tragédie lyrique de Jean-Philippe Rameau. Madame de Pompadour, dédicataire de l'ouvrage, fit nommer Bernard bibliothécaire du cabinet du roi au château de Choisy. 
 
Portrait de Gentil-Bernard, lithographie d'Alexandre Debelle.
 
En 1740, il est nommé secrétaire général des dragons par le duc de Coigny. Désormais riche, Bernard se lança dans une vie de plaisir et de débauche, l'abus du jeu, de la table et du lit, le fit tomber dans un gâtisme prématuré. Il était membre de la Société du Caveau, célèbre goguette parisienne. Son œuvre majeur, auquel il travailla toute sa vie, est un long poème licencieux intitulé « L’art d’aimer » à l'instar de celui d'Ovide. Bernard conservait son manuscrit dans un portefeuille, se contentant de lire des extraits dans les cercles et salons parisiens, les mondaines raffolaient de ses poésies légères. L’ouvrage fut publié juste avant sa mort en 1775.

Les trois Bernards.

En ce pays trois Bernards sont connus :
L’un est ce saint, ambitieux reclus,
Prêcheur adroit, fabricateur d’oracles ;
L’autre Bernard est celui de Plutus,
Bien plus grand saint, fesant plus de miracles ;
Et le troisième est l’enfant de Phébus,
Gentil-Bernard, dont la muse féconde
Doit faire encor les délices du monde
Quand des deux saints l’on ne parlera plus.


Voltaire, 1775.

Illustration du poème « Phrosine et Mélidore » de Gentil-Bernard.
Eau-forte de Pierre-Paul Prud’hon, 1797.

Sur le sentier.




Le rond bleu indique que cet alisier de Fontainebleau est un arbre remarquable.
À partir d'ici, le sentier rejoint le sentier du Mont-Ussy au niveau de la Grotte de la Fée Vipérine.

Le Nid de l'Aigle, gravure tirée de l'indicateur Denecourt de 1856.




Le Dormoir du Nid de l'Aigle par Armand Cassagne, Museum of Fine Arts, Boston.