Ancien sentier du plateau de Belle-Croix.

Ce sentier fut inventé en 1885 par Charles Colinet, le successeur de Claude-François Denecourt. De nos jours, ce sentier n'est plus balisé, néanmoins on retrouve d'anciennes traces de peinture bleue datant d'avant la dernière guerre (39-45). À l'origine, le sentier commençait au carrefour de Belle-Croix, traversait vers l'ouest le plateau du même nom et rejoignait le sentier du Cuvier-Châtillon au niveau des roches de Saint-Beuve (H). Ensuite l'ancien sentier retournait vers l'est, jusqu'à la route ronde, puis descendait vers le sud jusqu'à la Fontaine Sanguinède en suivant les Hauteurs de la Solle. Dans la description que je donne ici de cet ancien sentier, le promeneur retournera sur ses pas après les roches de Saint-Beuve, en continuant vers l'ouest jusqu'à la route du Cuvier Châtillon puis en empruntant la route tournante du même nom vers l'est. Sur le chemin du retour, on croisera les roches de Cuvier, la mare à Piat pour revenir à Belle-Croix.

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Carte éditée par le Touring Club de France en 1918. En rouge le tracé du sentier décrit dans cet article.

« La forêt, le silence, la solitude, Rousseau les aiment encore mieux que moi. Il y est comme le marin sur la mer. Au plateau de Belle-Croix, pendant des heures, immobile sur un rocher comme un capitaine sur sa dunette, il a l’air de faire son quart. Il ne peint pas, il contemple, il laisse ses chers arbres lui entrer lentement et profondément dans l’âme ». Jean-François Millet à propos de son ami Théodore Rousseau.

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Le plateau de Belle-Croix, gravure d'après un dessin d'Alfred-Joseph Dannequin, vers 1860.

Belle-Croix.

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Autrefois la forêt était divisée en neuf grandes sections que l'on nommait Gardes, la VIIe était celle de Belle Croix. C’est la plus ancienne croix de la forêt, elle fut érigée vers 1304 par un certain Pierre Tapereau. Le plan dressé en 1624 par Hugues Picart, désigne cette croix sous le nom de Croix Tappreau. En 1504, Simon Tapereau fit remplacer la croix, alors tombée en ruine, par une autre, formée d’un seul bloc de grès. Cette nouvelle croix était si bien travaillée, que l’ancien nom de Croix Tapereau fut changé en celui de Belle-Croix.Voir notre article spécifique sur la Belle-Croix.

La Roche du duel Soutzo - Ghika. 

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Sur cette plaque de grès reste une ancienne marque de peinture bleue indiquant qu'à cet endroit eut lieu le duel Soutzo - Ghika. En 1873, cette affaire fit les gros titres des journaux, le duel impliquant deux personnalités notables : le prince Constantin Soutzo et le prince Nicolas Ghika. Constantin Soutzo, 32 ans, était professeur de fortifications à l'école militaire d'Athènes, marié à la fille du ministre roumain des finances, il soupçonnait Nicolas Ghika d’être l’amant de sa femme Nathalie. Cette dernière s’était enfuie en Roumanie avec leur fils, elle avait demandé le divorce l'année précédente. Soutzo se rendit en Roumanie et enleva son fils âgé de trois ans. Il fut arrêté à la frontière et forcé à rendre l'enfant. Revenu à Paris, il alla à la rencontre de son rival Nicolas Ghika et le provoqua en duel en le souffletant et lui administrant publiquement une volée de coups de canne. Les proches de Ghika tentèrent de le dissuader de cet affrontement avec un officier réputé pour sa bravoure et son habileté au pistolet. Mais le jeune Nicolas, par bravade, accepta le duel.

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Le mardi 25 novembre 1873, vers dix heures du matin, deux voitures s'arrêtent au carrefour de Belle Croix, en descendent les duellistes et leurs témoins. Les deux adversaires s'éloignent en comptant vingt pas, se retournent et attendent le commandement à tirer, chacun à droit à deux coups de feu, on a doublé la charge de poudre des pistolets afin de diminuer la précision des tirs. Un des témoins donne le signal, « Messieurs êtes-vous prêts ? Une ... deux ... trois ! » Deux coups de feu partent simultanément, le jeune Ghika s'écroule, touché au-dessus de la hanche droite, la balle a traversé le corps, le sang du malheureux commence à se répandre sur le plateau de grès. 

« Duel au pistolet » film des frêres Lumières, 1898.

Soutzo et ses témoins s’enfuient en laissant le mourant et ses proches dans l’angoisse du sort du blessé. On va chercher une voiture pour emmener le jeune Ghika à Fontainebleau. On prend les chemins de terre de la forêt pour éviter les chaos du pavé de la route principale, car le malheureux prince souffre atrocement. On s'arrête à de nombreuses reprises pour calmer les souffrances du blessé, enfin on arrive à l'hôtel de France et d'Angleterre. Là, un médecin militaire est appelé, mais ne peut rien faire. Nicolas Ghika agonise pendant presque vingt-quatre heures avant de mourir. On l’enterra au cimetière du Mée-sur-Seine. 

 « Duel au pistolet » film des frêres Lumières, 1898.

Soutzo écrivit une lettre en se déclarant prêt à répondre de ses actes, ce qu’il fit en comparaissant le 7 février 1874 à la cour d’assise de Melun avec ses témoins. La mort de Nicolas Ghika, âgé de 24 ans, fit grand bruit dans l’opinion, l’émotion était grande, le jeune homme étant décrit comme délicat, voir efféminé en opposition à son meurtrier, un homme brutal et soldat de métier. Soutzo fut condamné à quatre ans de prison et les témoins entre trois et deux ans. Lors du procès un des témoins du duel déclara : « Lorsque je vis appeler Ghika pour le mettre en ligne, cela m'a fait l'effet d'un agneau qu'on conduit à la boucherie. »

Le Clovis (A).

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Le chêne Clovis, d'après un dessin de Lepère.

Cet arbre était célèbre du temps des Indicateurs Denecourt, milieu XIXe siècle, jusqu'à sa disparition dans le grand incendie de 1904. Dans la 20e édition du guide Colinet, vers 1888, le Clovis est marqué de la lettre A.

Mares de Belle-Croix (B).

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Autrefois existait le Clodion, arbre remarquable aujourd'hui disparu et qui portait la lettre B dans la 20e édition de l'Indicateur Denecourt-Colinet daté de 1888. Clodion dit le Chevelu, né vers 390 est un roi des Francs saliens. Il est connu pour être le plus ancien roi de la dynastie des Mérovingiens dont l’existence soit certaine.

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La Morille.

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Sur les traces de l'ancien sentier.

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Oasis des Amants (E) et mare Colinet.

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La mare Colinet a été creusée en 1887.

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La tête de chien.

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Mare à Dagneau.

« Le chêne vigoureux, en tête de la mare, est le chêne d'Auber. A droite et à gauche du chemin ce sont les chênes d'Ambroise Thomas et de Gounod. » Colinet 20e édition, 1888. Ces arbres remarquables ont tous disparus.

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Juste après la mare à Dagneau, se trouvait autrefois le Chêne de Napoléon Ier. Cet arbre remarquable fut détruit par l'incendie de 1904. Il avait été ainsi nommé en souvenir d’une chasse ou l’Empereur tua un sanglier au pied de ce chêne, c’était le 18 octobre 1809. 

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Napoléon à la chasse, peint par François Flameng en 1807.

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Le chêne Napoléon peint par Roger Tournay (1884-1969).

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Sentier du Concours.
« Ainsi désigné en souvenir du concours musical de Fontainebleau en 1885, et par reconnaissance pour le comité d'organisation qui voulut bien nous accorder une subvention de 100 francs pour nous aider à faire ce sentier. » Colinet 20e édition, 1888.

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Oasis de Mignon (F).

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Léon Mignon (1847-1898) est un sculpteur belge né à Liège où il est formé à l'Académie royale des beaux-arts; il termine ses études en 1871 ; il expose ses premières œuvres au Salon de Gand et obtient une bourse de la Fondation Darchis pour se rendre en Italie (1872-1875). Il s’installe en 1876 dans les environs de Paris en compagnie du sculpteur Paul De Vigne avant de s'installer définitivement à Schaerbeek en Belgique. Léon Mignon remporte la médaille d’or au salon de Paris pour sa sculpture Le dompteur de taureau (Li Tore). L'installation de l'œuvre aux Terrasses d'Avroy à Liège provoque une polémique, la nudité virile du dompteur et du taureau, sont jugées indécentes par les bourgeois catholiques de la ville.

 Léon Mignon.

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Rocher de Henri Regnault (G).

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Henri Regnault débute la peinture en 1857. Il devient l’élève de Louis Lamothe et d'Alexandre Cabanel à l'École des beaux-arts de Paris après avoir été élève au lycée Henri-IV à Paris. Après cinq tentatives, il obtient le prix de Rome 1866 avec la toile Thétis apportant à Achille les armes forgées par Vulcain. Envoyé en Italie, il réside peu à la Villa Médicis et profite pour voyager, notamment en Espagne, où son œuvre se ressent du choc de cette découverte. À Madrid, il assiste à la révolution carliste, au triomphe du général Prim, à la fuite de la reine d’Espagne Isabelle II. La découverte du palais de l'Alhambra à Grenade le marque fortement. Au salon de 1870 son Général Prim et sa Salomé sont présentés avec succès. Théophile Gautier écrit : « Prim c’est toute l’Espagne, Salomé c’est tout l’Orient. »

 Henri Regnault vers 1870.

Après l’Espagne, Henri Regnault gagne le Maroc en décembre 1869 avec son ami le peintre Georges Clairin, où il loue une maison à Tanger. Il y peint Exécution sans jugement sous les rois maures de Grenade, tableau orientaliste dans le goût exotique. De retour en France pour la guerre de 1870, il s'engage chez les francs-tireurs. Il trouve la mort à l'âge de 27 ans à la bataille de Buzenval le 19 janvier 1871, atteint à la tempe par une balle prussienne. Le compositeur Camille Saint-Saëns lui dédie sa Marche héroïque composée en 1871.

Henri Regnault
« Automédon ramenant les coursiers d'Achille des bords du Scamandre » 
par Henri Regnault, 1868, musée des beaux-arts de Boston.

Roches de Sainte-Beuve (H).

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Autrefois se trouvait ici le « bouquet de Saint-Beuve », arbre remarquable disparu du temps de Colinet et remplacé par les roches du même nom.  Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1869) est un critique littéraire et écrivain qui exerça une grande influence sur le milieu littéraire du Second Empire. En 1833, il préface la seconde édition d’Obermann de Senancour, livre qui introduisit une vision romantique de la forêt de Fontainebleau. Sainte-Beuve était l’ami de Victor Hugo,  ils se sont séparés après le coup d’État de décembre 1851, Sainte-Beuve se ralliant à l’Empire, il devient sénateur en 1865.

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Charles-Augustin Sainte-Beuve

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Roches de Cuvier.

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La forme de ces blocs de grès est particulière. Lorsque les eaux d'infiltration sont chargées de carbonate de soude, le ciment du grès devient calcaire. Ce calcaire finit par être dissous par l'action du temps et de l'érosion dù aux changements atmosphèriques, le grès se trouve creusé d'alvéoles dont la roche parait criblée. Ce phénomène est assez rare en forêt de Fontainebleau, la Roche Éponge sur le sentier des Fontaines en est un autre exemple, comme la roche dite du Carosse au Mont Aiveu ou la roche Courbet sur le sentier du Long Rocher.

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Ces roches particulières portent le nom de Georges Cuvier, comme l'ensemble du banc de grès qui s'étend de Belle Croix au point de vue du camp de Chailly à l'ouest, nommé Rocher du Cuvier-Châtillon. Georges Cuvier (1769-1832) est un scientifique célèbre pour ses travaux d'anatomie comparée et de paléontologie. Il s'intéressa aussi à la géologie et se rendit à différentes reprises à Fontainebleau pour en étudier les roches et les sols.


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Roches de Cuvier photographiées par Eugène Cuvelier vers 1860.

Au sujet des grès de Fontainebleau, Cuvier écrit : « qu'il y a eu je ne sais pourquoi plus de concrétions ici qu'ailleurs. Elles n'avaient formé qu'une seule couche qui posait sur le sommet du sable. Le sable ayant été emporté par des courants parallèles, la couche superficielle s'est rompue, et a formé nos célèbres amas de grès de Fontainebleau ; cela est évident à présent pour moi. Mais cette couche superficielle de concrétion grézeuse n'était pas générale. Elle avait laissé le sable nu dans de très grands espaces et ces espaces étant devenus creux, il s'y était formé des mares qui avaient déposé du calcaire [...] Ce calcaire très différent de celui mêlé de silice qui porte le sable, est la dernière production géologique de ce canton. On l'exploite pour faire de la chaux. C'est avec lui qu'on fait celle de Fontainebleau ».

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 Georges Cuvier par Zdenek Burian.

Mare à Piat.

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Le nom de cette mare vient de ce qu'un nommé Piat, garde général des forêts y fut jeté par des individus qui avaient à se plaindre de sa sévérité dans le service. Ce bain forcé ne lui fut pas funeste, puisqu'il est mort à l'âge de 81 ans, le 26 août 1805, laissant une nombreuse famille.

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« Un de mes sites, j'allais dire, comme si j'étais peintre : un de mes motifs de prédilection, était la délicieuse mare à Piat, ses bouleaux et ses roches, d'un style si Second Empire, si évocateur de Corot et de Courbet. En hiver, elle ne présente souvent qu'une surface de glace où des roseaux desséchés se hérissent en frissonnant. L'été, l'approche du promeneur y provoque le plongeon éperdu des grenouilles et l'on voit dans l'eau transparente, entre les nénuphars, glisser des poissons ... »
« Les beaux jours de Barbizon » par André Billy, 1947.

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La Mare à Piat, gravure d’Alfred Dannequin, 1868.

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Arbre remarquable, chêne sessile de 420 cm de tour.

Après avoir rejoint et traversé la route D142, on trouve le chêne de Berne-Bellecour, mentionné par Colinet en 1888. Hélas, cet arbre remarquable n'est plus aujourd'hui qu'un tronc mort.

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Chêne de Berne-Bellecour.

Etienne-Prosper Berne-Bellecour (1838-1910) est un peintre, graveur et illustrateur qui s'installa, à fin de sa vie, au château d'Égreville à une quinzaine de kilomètres au sud-est de la forêt.

Forêt de Fontainebleau
« L’amoureux » par Etienne-Prosper Berne-Bellecour.
Brooklyn Museum.

Retour au carrefour de Belle-Croix.

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Le plateau de Belle-Croix par Charles Ferdinand Ceramano.

« Ah ! le silence est d'or. Ainsi quand je suis à mon observatoir de Belle-Croix, je n'ose bouger, car le silence m'ouvre le cœur des découvertes. La famille des bois se met alors en action; c'est le silence qui m'a permis, immobile que j'étais comme un tronc d'arbre, de voir le cerf à son gîte, et à sa toilette... Celui qui vit dans le silence devient le centre du monde. » Théodore Rousseau.