La légende du Puits du Cormier

Puit du Cormier, Fontainebleau
 
La forêt de Fontainebleau comportait autrefois plusieurs puits destinés à donner à boire aux chiens de chasse mais aussi aux gibiers. En 1642, le Supérieur du couvent des Mathurins de Fontainebleau (1), le Père Dan, mentionne huit puits de la forêt (2) dans son ouvrage intitulé Le Trésor des merveilles de la maison royale de Fontainebleau : « Divers Puits qui sont encore en cette Forest font croire à plusieurs qu'ils ont été faits pour abreuver les bestes Fauves & noires tandis qu'elle estoit close, y ayant alors des hommes exprès pour y tirer de l'eau dans de grandes auges de pierre ; quoy que quelques autres estiment que c'était seulement pour abreuver les Chiens de chasse, à cause qu'il y a peu de mares dans cette Forest, & où l'Esté particulierement à peine se trouve-t-il de l'eau. Ces Puits étoient fort grands & larges, la plupart desqueles sont maintenant comblez. » 
 
Le Père Dan mentionne les puits suivants : 
 
Le Puits de Vauceruelle en la grande Route de Paris. 
Le Puits de Moret, autrement dit de la Lieuë. 
Le Puits de la Tranchée en la Route de Vidossan. 
Le Puits Fondu au chemin de Montigny. 
Le Puits au Gien au Triege dit l'Attila. 
Le Puits autrement dit de la Fosse aux Loups. 
Le Puits d'Ury. 
Le Puits du Cormier entre le chemin d'Achere, & l'Attelier Grand Jean ; lequel Puits estoit autrefois accompagné d'un grand corps de bastiment, couvert de pierre en terrasse, qui naguere a esté démoly.
 
 
Le Puits de Vaurcevelles.
Ce puits était situé près de la Croix de Vaurcevelles. Ce puits et cette croix n'existent plus. D'après l'abbé Guilbert (3), des vestiges de construction de ce puits subsistaient encore en 1731. La Croix de Vaurcevelles s'élevait à l'intersection de la route de Melun et de la route du Luxembourg, au lieu-dit du Cabaret Masson. En 1642, le Père Dan l'indique sur la grande route de Paris. Elle figure encore sur une carte de la forêt daté de 1809, à l'entrée de la Vallée de la Solle. Elle est pour la dernière fois indiquée sur le plan qui accompagne le livre d'Étienne Jamin, publié en 1837 (4).

Le Puits de Moret ou de la Lieue.
Ce puits était situé près de l'intersection de la Route Ronde (D301) et de la Route de Moret (D606), au Carrefour de l'ancienne Croix de Montmorin (renversée par un camion en 1919 et jamais remplacée), aujourd'hui Carrefour de la Route Ronde. Ce puits figure sur le plan de la forêt établie par Nicolas Defer en 1697 sous le nom de puits de la Lieue. 

Le Puits de la Tranchée.
Ce puits est distinct du puits Fondu qui se trouvait dans le même secteur. Le prieur de l'abbaye de Ferrières, Dom Guillaume Morin (5), mentionne en 1630 le puits de la Tranchée « proche la beaute au diable », c'est à dire le canton de la Vente au Diable. Le père Dan indique qu'il se trouvait « en la Route de Vidossan ». L'historien Félix Herbet, indique dans son Dictionnaire historique et artistique de la forêt de Fontainebleau (1903), qu'il existe encore, dans l'angle formé par la Route du Rapport et la Route de Fontainebleau à Montigny (parcelles 63 et 64), un puits qui doit être l'ancien puits de la Tranchée. Aujourd'hui, il n'existe plus aucune trace de ce puits. La Route de Vidossang actuelle relie la Croix du Grand Maître (parcelle 436) à l'aqueduc de la Vanne près de Moret (parcelle 428).
 
La légende du Puits du Cormier, forêt de Fontainebleau


La Route de Vidossang fut nommé ainsi en souvenir de Monsieur Vidossant qui fut tué en duel par Jean Zamet, près de la Croix du Grand Maître. En novembre 1608, au château de Fontainebleau, un bal eut lieu dans les appartements des filles de la reine Marie de Médicis. Parmi les participants se trouvait Jean Zamet, âgé de 23 ans, capitaine et gentilhomme de la chambre du roi. Il était le fils de Sébastien Zamet, gouverneur du château de Fontainebleau. Le jeune Zamet n’était pas bon danseur. Un plaisantin, nommé Monsieur de Vidossant, le ridiculisa en imitant ses pas de façon grotesque. Ayant été humilié publiquement, le fils du gouverneur exigea réparation. Le duel eu lieu près de la Croix du Grand Maître au croisement de l’ancienne route du Montoir et de celle qui porte aujourd’hui le nom de la victime. Après s’être salués, les duellistes retirèrent leurs chemises et engagèrent le combat avec chacun une épée et un poignard. Vidossant cria: « ouyda ! » et attaqua le premier, mais très vite il glissa sur des feuilles de chêne mouillées. Zamet en profita pour lui planter son épée dans le flanc, blessant à mort son opposant « décédé, à son grand regret et déplaisir ». Le vainqueur fut pardonné par Henri IV qui rédigea une lettre de rémission en sa faveur, le roi préférant un bon bretteur à un mauvais danseur (6).

La légende du Puits du Cormier, forêt de Fontainebleau


Le Puits Fondu.
Ce puits est indiqué sur le plan de la forêt établi par Defer en 1697. Des travaux de creusement de puits au lieu dit la Vente au Diable sont mentionnés pour l'année 1537 dans les Compte des Bastiments du Roy (7)  : « Façon de puis pour le Roy en la forest de Bièvre, au lieu dit la Vente au Diable lez ledit Fontainebleau. A Pierre Dubois, faiseur de puis, la somme de 64 lv. 16 s. 8d., à luy ordonnée par ledit sieur de Neufville. » Une route de la forêt porte son nom.

Puits de la forêt de Fontainebleau

Le Puits au Gien.
Ce puits correspond au puits au Géants (nom d'un canton) situé dans le triage dit de la Tillaie. Le prieur Dom Morin indique le puitz au grez à la fillace. Le plan de Defer indique le puits au guien et le plan Matis de 1709, le puits Augien.

Le Puits autrement dit de la Fosse aux Loups.
La Fosse aux Loups est marquée sur le plan de 1697 comme une très vaste excavation carrée, à peu près à l'endroit de la Mare à Bauge. Du Moyen Âge au début du XXe siècle, la fosse à loups ou « louvière » fut un moyen de lutter contre ce prédateur autrefois si redouté. Ce piège a marqué la toponymie de nombreux lieux-dits. En forêt de Fontainebleau, plusieurs fosses à loups sont attestées dès le XIVe siècle, il en existait une vers la Mare à Bauge, une autre vers les Vente Cumiers entre Bourron et Reclose, elle est mentionnée dans une charte de Philippe le Bel datée de 1302. Une troisième fosse à loup est mentionnée en 1402 en bordure de la seigneurie de Bourron. Voir l'ancien sentier de la Gorge au Loups.

Le Puits d'Ury.
Ce puits est mentionné par le prieur Dom Morin en 1630 : le puits Dury et par le père Dan en 1642.

Le Puits du Cormier.
C'est le seul rescapé des huit puits mentionné par le père Dan en 1642. Aujourd'hui à sec, il doit son nom au cormier (Sorbus domestica) ou sorbier domestique. Ce puits était autrefois accompagné d'un corps de bâtiment couvert de pierre en terasse comme l'indique le père Dan. Cette structure a été ensuite démoli et ses ruines étaient encore présente au début du XIXe siècle comme l'atteste l'eau-forte d'Antoine-Laurent Castellan. Le Puits du Cormier est situé à environ 200 mètres au sud-est du carrefour éponyme, entre les parcelles 125 et 134. Le puits est dans la zone dite du polygone, ancien champ de tir, terrain militaire interdit d'accès. Le Puits de Cormier est aussi le nom d'un canton de la forêt (61 hectares) et une rue de Barbizon porte son nom.
 
Le Puit du Cormier en 2022.

La légende du Puits du Cormier est mentionnée pour la première fois en 1840, dans l'ouvrage d'Antoine-Laurent Castellan (8), intitulé : Fontainebleau études pittoresques et historiques. L'auteur avance qu'il a découvert, en marge d'un exemplaire du Trésor des Merveilles de Fontainebleau, l'ouvrage du Père Dan publié en 1642, une note manuscrite mentionnant une ancienne tradition. L'historien Félix Herbet (9) émet des doutes quant à la véracité de cette légende : « Castellan est bien capable de l'avoir inventé ; cependant elle a un caractère de sincérité qui manque à ses autres narrations, celle de la Chaise-à-Marie et celle du Rocher de la Salamandre par exemple. » 
 
Le Puits du Cormier dessiné et gravé par d'Antoine-Laurent Castellan, 1840.

L'écrivain et journaliste Auguste Luchet (10), reprends la légende du Puits du Cormier de Castellan dans ses Souvenirs de Fontainebleau, publié en 1842 : 
« Il y a dans la forêt, entre le chemin qui mène au village d'Achères et lieu dit l'Atelier Grandjean, un puits fort ancien et fort bizarre qu'on appelle le Puits du Cormier. Pourquoi ce nom ? on n'en sait rien. C'est vainement que vous chercheriez aux alentours le plus petit vestige d'un cormier jeune ou vieux. Des traditions de toute sorte s'attachent à cette antique construction. Les uns veulent y voir les oubliettes d'un château féodal, d'autres l'in pace d'un affreux couvent. Les plus positifs ne savent qu'en dire, et, en effet, ces données là et d'autres encore pouvaient être vraisemblables à propos d'un souterrain de fort mauvaise mine qui tourne sur lui-même et aboutit à un trou noir probablement très profond. Les amours ont aussi leur part dans les légendes contradictoires de ce vieux coin de la forêt. Jadis l'eau du puits du Cormier donnait aux amans la constance et aux époux la fécondité. Le serment par le Cormier, un peu d'eau, bue à deux dans la même tasse, constituaient un irrévocable engagement, et si, comme dit naïvement l'histoire, au bout d'un an et un jour la sage-femme n'était pas appelée, l'eau du puits plus efficace que ne fut jamais eau de Vichy ou de Forges, venait encore au secours du ménage insuffisamment béni. Les époux choisissaient une nuit, entre eux, et dans le plus profond secret, ils ne se couchaient point cette nuit-là, mais ils s'agenouillaient dos à dos dans leur chambre et priaient ensemble, la fenêtre ouverte ; la femme ayant autant que possible le visage tourné vers la lune, en supposant qu'il y eût de la lune. Puis, quand minuit avait sonné, les époux sortaient de chez eux à pas de loup, sans être vus ni entendus de personne, car autrement l'affaire eut été manquée, et ils se mettaient en route pour la forêt, sans se rien dire, les bras entrelacés, marchant du même pied toujours, la femme avec une cruche sur la lête, le mari avec une corde en crin pendue au cou. Ils prenaient ainsi un chemin nullement praticable, parfaitement affreux, mais le seul bon, parce qu'il était le plus direct. Ils traversaient la Fosse à Rateau, la Tète à l'Ane et autres cantons tout aussi peu chrétiennement baptisés ; ensuite, laissant à droite le sauvage Mont-Fessas, le magnifique Mont-Aigu, ils s'engageaient dans une horrible chaîne de rochers où restaient bien souvent les souliers de la femme et partie des bottes du mari ; puis enfin, après bien du mal, bien du mal, ils trouvaient une niche avec un banc pour une personne, où ils se reposaient l'un après l'autre. Il fallait prendre bien garde de s'endormir là ; un œil fermé aurait encore tout perdu. Donc, après une courte halte, les intéressans époux descendaient droit devant eux dans la vallée, sans se rien dire toujours, la femme avec la cruche, l'homme avec la corde, par un chemin fourré et touffu à ne voir ni ciel ni terre. Pourtant on arrivait au puits, ou on n'y arrivait pas ; c'était selon comme on avait sagement et pieusement vécu pendant l'année. Alors le mari attachait la cruche de sa femme à sa corde et il puisait, et la femme s'en allait toute seule, pauvre effrayée qu'elle était ! vider la cruche loin du puits, dans une auge où buvaient les loups et autres sires forestiers. Et elle allait ainsi du puits à l'auge, de l'auge au puits, jusqu'à ce que l'auge fut pleine ; et il fallait qu'elle eût fini avant que le premier rayon du soleil levant vint frapper la Pierre-Blanche, qui est une haute pointe parmi celles dont le Mont-Aigu se couronne. Alors la pauvre femme venait se jeter brisée, haletante, dans les bras de son mari ; et puis, ma foi, je ne sais plus ! La corvée était rude, comme vous voyez ; mais il paraît que l'effet en était infaillible. Quand par hasard les pèlerins ne réussissaient pas, c'est qu'il y avait eu de leur faute, très certainement ; de l'indiscrétion, du bavardage, la corde ou la cruche mal portée, paresse à remplir l'auge, sommeil sur le banc de la niche, impatience dans le mauvais chemin ! On rit de toutes ces choses aujourd'hui que le puits est à sec. Ainsi se tarissent toutes les croyances, me disait d'une voix tristement moqueuse l'aimable curé de Guercheville. O grand peuple de grands esprits ! si l'eau coulait, tu croirais encore à ses vertus. »
 
Auguste Luchet photographié par Étienne Carjat.
 
Notes

1 - L'ordre de la Très Sainte Trinité et de la Rédemption des Captifs, dit ordre des Trinitaires ou Mathurins, est un ordre religieux catholique fondé en 1194 à Cerfroid par Saint Jean de Matha. Les Trinitaires étaient chargé de racheter les chrétiens captifs des Maures. En 1259, Saint Louis décide de fonder un couvent royal à Fontainebleau et procéde à l'installation des Trinitaires en leur faisant donation de la chapelle Saint-Saturnin fondée par Louis VII et en leur confiant la charge d'un hôpital et d'une nouvelle chapelle, dédiée à la Trinité. Les Trinitaires vont rester à Fontainebleau jusqu'à la Révolution. Les Trinitaires n'étaient autorisés, par leur règle, à ne voyager que sur un âne. C’est pourquoi, dans son Grand Dictionnaire historique de 1674, Louis Moréri les nomme : « les frères asnes de Fontainebleau ». Le père Dan fut chargé du rachat des chrétiens esclaves à Alger en 1634. Il racontera son voyage dans ouvrage intitulé Histoire de la barbarie et de ses Corsaires, publié en 1637. Une rue de Fontainebleau porte son nom.
 
Le père Dan rachète des captifs chrétiens.
Page de garde de l'Histoire de la barbarie et de ses Corsaires.

2 - Il existait d'autres puits en forêt qui ne sont pas mentionné par le père Dan : Le puit Bardin (1621) et le puits Saint-Loups (1613) à Samois près du Rocher de Samois ; le puits de Bréon ou Brion, mentionné dans un acte de 1256 dans le secteur de Bessonville ; le puits de Busseau, secteur de la Commanderie, cité dans un acte de 1523, Busseau est un hameau dépendant de Villiers-sous-Grez, le puits existe toujours ; le puits de Buteaux, cité dans un acte de 1523, Butteaux est un hameau dépendant de la Chapelle-la-Reine ; le puits du Chêne Corbin, mentionné comme neuf et vidangé en 1535 d'après les Compte des Bastiments du Roy. À la différence de ces anciens puits aujourd'hui disparus, le puits de Franchard est plus récent, il a été creusé en 1813, profond de 66 mètres, il n'a jamais donné d'eau.
 
 
3 - L'abbé Guilbert reprends les informations du père Dan dans sa Description historique des châteaux, bourg et forest de Fontainebleau publiée en 1731, chez André Cailleau à Paris. Pierre Guilbert (1697-1759), était le Précepteur des pages de Louis XV et un écrivain janséniste.

4 - Quatre promenades dans la forêt de Fontainebleau, ou description physique et topographique de cette forêt royale par Étienne Jamin, officier de la conciergerie, chez H. Rabotin libraire-éditeur à Fontainebleau, 1837.

5 - Dom Guillaume Morin est né à Paris vers 1570, dans une famille de la noblesse de robe. Son père vint à Ferrières (aujourd'hui Ferrières-en-Gâtinais) pour y exercer la charge de bailli. Pieux et lettré, Guillaume fut d'abord nommé prieur de Saint-Pierre de Chaon en Sologne, puis revint à Ferrières où il fut nommé grand prieur de l'abbaye de Saint-Pierre-et-Saint-Paul. Dom Morin poursuivit les travaux de restauration et d'embellissement de l'abbaye, après les destructions faites par les huguenots. Restauration du clocher en 1621 ; restauration des bâtiments conventuels ; construction des deux chapelles latérales de Notre-Dame de Bethléem, l'une dédiée à saint Roch, l'autre au Saint Esprit. Dom Morin est connu pour être l'auteur d'une Histoire générale des pays du Gastinois, Senonois et Hurepoix, contenant la description des Antiquités, des villes, bourgs, chateaux, abbayes, églises et maisons nobles desdits pays ; avec les généalogies des seigneurs et familles qui en dépendent, publié en 1630, après sa mort survenue en 1628. Il fut enseveli dans la chapelle Saint-Esprit de l'église de Notre-Dame de Bethléem de Ferrières, sa pierre tombale s'y trouve encore.
 
Histoire générale des pays du Gastinois, Senonois et Hurepoix, 1621.
 
6 - Duels tragiques dans la forêt de Fontainebleau par Félix Herbet, Fontainebleau, 1899.

7 - En 1877 et 1880, la Société de l’histoire de l’art français publia deux volumes intitulés Les Comptes des Bâtiments du roi (1528-1571), parachevant ainsi un ouvrage préparé dès 1855 par le marquis Léon de Laborde mais demeuré inachevé de son vivant. Le document principal de la publication est la transcription d’un manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale, lui-même une copie sélective et abrégée des Comptes des Bâtiments du roi, réalisé par André Félibien, avant 1680, pour servir d’appui à d'une Histoire des maisons royales et bastiments de France, restée à l’état de notes. Pour l'année 1537, dans ces Comptes des Bâtiments, il est écrit : « Fafion des puits faits par le Roy en la forest de Bièvre lès Fontainebleau. A Pierre du Bois et Claude de Creil, pour avoir par eux faits lesdits puis, audit lieu, par l’ordonnance desdits sieurs de Neufville et Babou, la somme de 158 liv. 1 s. 8 d. ». Et pour l'année 1535 : « Payez par ledit présent commis, de l’ordonnance du sieur de Villeroy, en ensuivant l’advis et opinions desdits contreroleurs, pour les journées des manœuvres qni ont travaillé à faire les vuydanges du puis fait de neuf en la forest dudit Fontainebleau, au lieu dil le Chesne Corbin et autres. A plusieurs manouvriers, qui ont travaillé esdiles vuydanges, la somme de 167 liv. 12 s. 6 d. ».
 
 Les Comptes des Bâtiments du roi et le marquis Léon de Laborde (1807-1869).

8 - Antoine-Laurent Castellan naquit à Montpellier en 1772 et décéda à Paris en 1838. Il fut peintre, aquarelliste, graveur et écrivain, reçu à l'Académie des beaux-arts en 1816. Son père, qui était caissier des états du Languedoc, s'opposa aux penchants artistiques de son fils mais finit par céder en l'inscrivant en tant qu'élève dans l'atelier du peintre Pierre-Henri de Valenciennes qui lui apprit l'art du paysage. Pendant la Révolution, « effrayé de ce tumulte et atteint par la réquisition, Castellan, pour n'attirer l'orage ni sur lui, ni sur sa famille, prit le parti d'entrer dans les charrois militaires, où il resta tout le temps que dura la terreur. » La tumulte révolutionnaire ne l'empêcha pas de participer au Salon de 1793 à 1808. Castellan voyagea en Turquie, en Grèce, en Italie et en Suisse. Ses voyages furent sa principale source d'inspiration, il peignit ainsi de nombreux tableaux orientalistes et publia des souvenirs de ses pérégrinations. Son voyage en Orient eut lieu de janvier à juillet 1797, comme attaché dessinateur à l'ingénieur Fergeau, que le Directoire envoyait à Constantinople à la demande de la Sublime Porte pour des travaux portuaires qui n'eurent jamais lieu. Il raconta ce voyage dans un livre, orné de ses gravures et publié en 1808 : Lettres sur la Morée et les îles de Cérigo, Hydra et Zante. A son retour, il travailla aux archives du Sénat et s'installa à Paris. En 1804. Il épousa une des filles de l'architecte Antoine-François Peyre, architecte des bâtiments du roi à Fontainebleau et Saint-Germain-en-Laye. Peyre se retira au château de Fontainebleau pendant la Révolution française, il y fut emprisonné pendant la Terreur. C'est par ses liens familliaux que Castellan découvrit Fontainebleau, il y restera attaché toute sa vie : « Retiré une partie de l'année à Fontainebleau, où il s'était fait une retraite conforme à la modestie des ses goûts, il se livrait paisible et heureux, à l'étude de la nature, au dessin, à la peinture. » Son œuvre la plus connu, Mœurs, usages, costumes des Othomans, et abrégé de leur histoire, publié en 6 volumes en 1812, fit l'admiration du poète britannique Lord Byron qui écrivit à son propos : « Je pars pour visiter Contantinople, et j'emporte mon petit Castellan avec moi : — N'allez pas en Turquie, sans avoir Castellan dans votre poche. » Son livre sur Fontainebleau sera publié à titre posthume en 1840, Castellan s'éteignit à Paris en 1838. Les citations sont tirées de la notice d'introduction à son livre sur Fontainebleau. 
 
Fontaine Turque à Gallipoli, Antoine-Laurent Castellan, 1808.

9 - Dictionnaire historique et artistique de la forêt de Fontainebleau, 1903. Félix Herbet (1847-1917) avocat, historien, maire du VIe arrondissement de Paris, est l'auteur de nombreux ouvrages sur Fontainebleau. Une rue de Fontainebleau porte son nom. Charles Colinet, a nommé un des plus vieux chêne de la forêt du nom de Félix Herbet, il est toujours là, au Bas Bréau, près de Barbizon. 
 
Félix Herbet (1847-1917)  
 
10 - Auguste Luchet (1806-1872) est un écrivain, auteur dramatique, journaliste, critique d’art, chroniqueur et militant politique, fervent républicain. Né à Paris, il passe sa jeunesse à Dieppe et retourne dans la capitale en 1823 où il entre dans une maison de commerce. Il abandonne vite le travail en magasin et se lance dans une carrière littéraire. En 1830, il participe activement à la révolution qui fait tomber Charles X. Sous le règne de Louis-Philippe, ses écrits lui valent d’être condamné à deux ans de prison, il s’exile à Jersey où il passe cinq années. Après la Révolution de 1848, la toute jeune seconde République le nomme gouverneur du château de Fontainebleau, il n’occupe le poste que brièvement. On lui doit le rétablissement des aigles de l’Empire sur la grille de la cour des Adieux. Luchet écrira pour Le Temps, journal de centre gauche sous la monarchie de Juillet, puis pour La Réforme, fondé par Ledru-Rollin, aux idées beaucoup plus radicales, républicaines et sociales ; ses articles cotoiront alors ceux de Marx, Proudhon et Bakounine. La Réforme sera interdit en 1851 par Napoléon III. Proche des idées de Saint-Simon, il professe un socialisme à caractère religieux. La République est selon lui démontrée par les Évangiles, idée partagée par de nombreux acteurs de la révolution de 1848 qui voyaient en Jésus, « le premier des Montagnards ». Jean Jaurès reprendra ces idées à la fin du XIXe siècle. Claude-François Denecourt et Auguste Luchet, liés d'amitié, feront liste commune à l’élection législative d’avril 1848. Ensemble, ils militeront contre le premier gouvernement du président Louis Napoléon Bonaparte. Luchet rédigera pour les guides Denecourt une histoire du château de Fontainebleau et défendra l’œuvre de son ami le Sylvain. 
 
Auguste Luchet photographié par Nadar.

La légende du Puits du Cormier selon Antoine-Laurent Castellan, publié en 1840 dans son ouvrage posthume : Fontainebleau études pittoresques et historiques.

« Nous avons trouvé, en marge d'un exemplaire du Trésor des Merveilles de Fontainebleau, une note explicative sur cet usage ; elle est d'une ancienne écriture qui remonte au temps de Louis XIII. Pour obtenir quelque fruit d'une pareille entreprise, il fallait remplir certaines conditions, et la non réussite était attribuée au manque de foi, à l'oubli d'une formalité ou cérémonial indispensable. Le jeune couple devait passer les premières heures de la nuit en prières, partir de chez lui avant une heure du matin, ayant bien soin que personne ne se doutât de cette escapade, car on se serait exposé à quelque malencontre. Il fallait marcher ensemble du même pied, les bras entrelacés ; la femme portant sur sa tête une cruche vide, le mari une corde de crin. Ils prenaient le chemin le plus direct quoique le moins praticable, et traversaient les cantons de la forêt désignés sous le nom de la Fosse au Rateau, la Tête à l'Ane, laissaient à droite le mont Fessas et le mont Aigu, traversaient la chaîne de rochers vers l'endroit où s'étendent maintenant les sinueux murs d'enceinte de la Faisanderie. Arrivés au sommet du coteau où il existait un rocher creusé en forme de niche avec un banc, où ne pouvait s'asseoir qu'une seule personne, le couple aventureux reposait, en ayant bien soin de ne pas s'endormir, quelque envie qu'il en eût, pour être prêt à terminer sa tâche avant l'aurore. On n'avait plus ensuite qu'à descendre jusqu'au fond de la vallée, alors couverte d'une épaisse verdure. Il fallait s'enfoncer sous ces berceaux, sous ces dômes de branches entrelacées et couvertes d'un feuillage impénétrable aux rayons du soleil, et qui, la nuit surtout, lorsque la lune et les étoiles ne scintillaient pas, dérobaient dans une obscurité complète les sentiers à peine tracés sur le gazon, et que l'instinct plutôt que le raisonnement faisait suivre au couple tremblant et saisi autant par la crainte de s'égarer que par la fraîcheur glaciale de ces sombres retraites. Arrivait-on enfin, à travers tous ces obstacles, au puits consacré, une dernière épreuve attendait la jeune épouse. Le vase qu'on avait apporté attaché à la corde, était plongé au fond du puits et retiré plein d'eau, la femme le posait sur sa tête et allait seule le vider dans une auge qu'elle devait remplir et qui était située à une assez grande distance : il fallait que ce travail pénible et périlleux, surtout dans une obscurité aussi profonde, fut terminé avant que le premier rayon du soleil levant eût frappé la pierre blanche, point le plus élevé du mont Aigu. Que se passait-il encore dans cette nuit de frayeur, de fatigue et de mystère ? Notre vieille chronique se tait. On ne voit plus de jeunes époux rôder la nuit autour du puits desséché. »