16 avril 1846, un attentat contre le roi.

 
Par un jeudi ensoleillé, en début d'après-midi, le roi Louis-Philippe quitte le palais de Fontainebleau pour aller se promener en forêt. Le cortège, composé de trois voitures cabriolet, sort par l'avenue de Maintenon et prend la route de Moret. Après une longue promenade, les voitures prennent la route d'Avon pour pénétrer dans le parc du château et suivent l'allée qui longe le mur méridional bordant le petit parquet. Vers cinq heures du soir, un coup de fusil se fait entendre à quelques mètres de distance du cortège royal. Un second coup éclate quelques secondes plus tard. On vient de tirer sur la voiture du roi. 
 
Attentat contre le roi, 16 avril 1846, Fontainebleau
 llustration de l'attentat pour « Choses vues » de Victor Hugo, édition E.Hugues, 1889.
 
Juché sur le mur d'enceinte du parc, le tireur est aperçu avant qu'il ne s'enfuie. Il porte une blouse bleue avec un mouchoir lui cachant la moitié du visage. L'homme est vivement poursuivi et bientôt arrêté par un modeste palefrenier nommé Milet. Par une chance incroyable, le roi, sa famille et son entourage sortent indemnes de l'attentat. Lorsqu'il est arrêté, le tireur a encore dans les mains son fusil et avoue immédiatement son crime. L'homme se nomme Pierre Lecomte, c'est un ancien garde des forêts de la Couronne à Fontainebleau. Immédiatement interrogé par un lieutenant de gendarmerie, il déclare : « On m'a fait des injustices, on n'a pas fait droit à mes réclamations pour ma pension de retraite, j'ai voulu tuer le roi, je me suis trop pressé, c'est malheureux, j'ai joué gros jeu, j'ai perdu la partie ».
 
Attentat contre le roi à Fontainebleau, 16 avril 1846
L'illustration, daté du samedi 25 avril 1846.
 
L'enquête indique que Lecomte est parti la veille de Paris, à dix heures du soir, emportant son arme démontée. Le coche est arrivé vers quatre heures du matin à Fontainebleau. Lecomte est descendu devant l'hôtel de l'Aigle-Noir où s'arrête habituellement la diligence. Il a prit ensuite le chemin de la forêt où il a caché son arme. Puis, il est parti à pied rejoindre Valvins où il s'est lavé et rasé dans la Seine. Pris d'appétit, il s'est ensuite rendu aux Plâtreries à Samois où il a déjeuné à l'auberge Gervais. Lecomte a commandé une friture de perches et il a bu deux bouteilles de vin de Mâcon. Vers midi, après avoir payé son déjeuner pour la somme de 3 francs et 65 centimes, il est retourné à Fontainebleau où il s'est promené. Des témoins assurent l'avoir vu dans les jardins du château. Puis il est retourné en forêt faire une sieste et récupérer son arme afin de tirer sur le roi.

Restaurant à Samois-sur-Seine, carte postale début XXe siècle.

Pierre Lecomte est né en 1798 à Beaumont en Côte d'Or. En 1815, il s'enrôle dans le régiment des chasseurs à cheval de la garde royal. Il participe à la campagne d'Espagne de 1823, il est nommé brigadier et reçoit la Légion d'honneur. Libéré du service en 1825, il retourne en Bourgogne où il travaille comme employé dans les bureaux de l'intendance militaire. Le goût de l'aventure le fait rejoindre les volontaires étrangers qui se battent pour l'indépendance de la Grèce. Pendant sa période militaire, ses compagnons d'armes l'ont surnommé Pierre-le-dur, surnom dû à son caractère violent, brutal, inflexible, mais aussi taciturne. La guerre terminée, Lecomte rentre en France où il sollicite d'être nommé comme garde à cheval dans l'administration forestière du Duc d'Orléans, futur roi Louis-Philippe. La demande est acceptée et il débute en août 1829. Il est en service dans l'inspection de Fontainebleau en 1838. Ses chefs reconnaissent qu'il est exact à remplir ses devoirs, mais l'orgueil, la violence et la tendance vindicative de son caractère le rende dur avec ses subordonnés. Supportant avec peine le pouvoir de ses supérieurs, il se complait dans la solitude et fuit toutes relations. 

L'indépendance grecque, tableau de Louis Dupré, 1821.

En 1844, Lecomte démissionne après avoir subi une retenue de 20 francs sur ses gratifications pour refus d'obéissance. La liquidation de sa pension prend beaucoup de retard. Furieux des lenteurs de l'administration, il conteste vigoureusement le montant du secours annuel de 388 francs qui lui est alloué. Début 1845, il quitte Fontainebleau pour Paris où il vit dans la pauvreté et un isolement total. Seule sa sœur le visite dans son minuscule meublé et essaye de le tirer de son inaction. Lecomte passe des heures contre sa fenêtre, abîmé dans de sombres réflexions, s'abandonnant à l'amertume et aux ressentiments haineux contre l'administration forestière et la personne du roi. Il rédige plusieurs lettres de réclamations destinées à l'Intendant général, au Conservateur des forêts et même au roi. Dans une lettre au roi, il écrit : « Sire, un malheur que je déplore m'a fait entrer il y a quinze ans au service des forêts de Votre Majesté ; depuis cette époque j'ai passé des jours bien tristes, constamment en butte aux mauvaises passions de votre vieux coquin de conservateur. […] Enfin, si je n'ai rien à attendre de votre équité, que la vengeance atroce de ceux qui n'ont cessé de me persécuter soit satisfaite... Pour moi, il ne devra me rester que le regret de vous avoir servi ».

Plan des lieux de l'attentat. Rapport fait à la Cour par M. Franck Carré, 
imprimerie Royale, Paris mai 1846.
 
Le procès de Pierre Lecomte débute en mai 1846. Il est jugé par la Chambre des pairs de France, en charge des crimes contre la sûreté de l’État. Parmi les membres de cette assemblée, qui siège au Palais du Luxembourg (actuel Sénat), se trouve Victor Hugo, nommé en 1845. Lecomte est reconnu coupable de parricide. Lors de la séance du 6 juin, il faut décider de la sentence. À l'appel à haute de voix de son nom par le greffier, chaque pair se lève et déclare la peine que le condamné doit endurer. Lors du premier tour du scrutin, Victor Hugo déclare : « En présence de l’énormité du crime et de la futilité du motif, il m’est impossible de croire que le coupable ait agi dans la pleine possession de sa liberté morale, de sa volonté. Je ne pense pas que ce soit là une créature humaine ayant une perception nette de ses idées ni une conscience claire de ses actions. Je ne puis prononcer contre cet homme d’autre peine que la détention perpétuelle ».  
 
 
Victor Hugo, vers 1846.

L'appel des noms des pairs se poursuit et avec une lugubre monotonie, chacun demandant « la peine capitale, la peine des parricides ». Enfin, le chancelier de la Chambre déclare : « Je prononce la peine des parricides. Maintenant, un second tour d’opinion va commencer. Le premier vote n’est que provisoire, le deuxième seul est définitif ».  À propos du condamné, il ajoute : « C’est un homme qui sait ce qu’il a voulu et qui accepte ce qu’il a fait. Qu’il en subisse les conséquences. Je rappelle à la Cour, pour achever d’éclairer sa religion, que la peine du parricide ne se complique plus du poing coupé. Le coupable, mené en chemise, pieds nus, la tête couverte d’un voile noir, exposé sur l’échafaud pendant la lecture de l’arrêt, voilà toute l’aggravation ». Lors de ce second tour, Victor Hugo se lançe dans une longue tirade plaidant pour les circonstances atténuantes du fait de la folie du condamné : « Je répugne aux peines irréparables ; dans le cas particulier, je ne les admets pas. […] Ce n’est pas un fou pour un médecin peut-être, c’est un fou à coup sûr pour un moraliste ». La grandiloquence de Victor Hugo n'a pas convaincu. Des 232 pairs présents lors de cette séance, seuls deux autres membres de la Chambre ont voté contre la peine de mort et pour une détention perpétuelle : le marquis de Boissy et le vicomte Dubouchage.

Dessin de Victor Hugo représentant l'accusé Pierre Lecomte avec la note manuscrite suivante : « À la fois calme et farouche, il a des mouvements de bête sauvage prise 
qui cherche à s’échapper à travers des barreaux »

La Chambre des pairs, malgré son verdict, espère une grâce du roi. Le jour après la condamnation, l'avocat de Lecomte est appelé chez Louis-Philippe. Lors de l'entretien, bien qu'il professe son aversion pour la peine de mort, le roi se montre réticent à gracier le condamné et dit à l'avocat : « Savez-vous comment il se fait qu’on tire sur moi ? C’est qu’on ne me connaît pas, c’est qu’on me calomnie, on dit partout : — Louis-Philippe est un gueux, Louis-Philippe est un coquin, Louis-Philippe est un avare, Louis-Philippe fait tout le mal. Il veut des dotations pour ses fils, de l’argent pour lui. Il corrompt le pays. Il l’avilit au-dedans et l’abaisse au-dehors. C’est un vieux anglais. À bas Louis-Philippe ! Que diable ! il faut bien que je protège un peu ce pauvre Louis-Philippe, maître Duvergier ! ». (1)

Caricature de Louis-Philippe en Gargantua par Honoré Daumier.

Le lendemain, l'avocat de Lecomte reçoit une lettre du Garde des Sceaux lui annonçant que la grâce est rejetée. Louis-Philippe est excédé par les attentats contre sa personne. La tentative de Lecomte est la sixième de son règne. Le lundi 8 juin 1846, à cinq heures et demie du matin, Pierre Lecomte est guillotiné à la barrière Saint-Jacques dans le XIVème arrondissement de Paris. Plusieurs milliers de personnes assitent à son exécution. Conformément à l’arrêt qui l’a condamné à la peine des parricides, il est vêtu d’une longue chemise blanche avec un voile noir placé sur sa tête. Toutes les rues aboutissants au lieu de l'exécution sont gardées et fermées par des soldats en armes, l'échafaud est entouré d'un bataillon de la garde municipale. Lorsque la voiture cellulaire arrive sur le lieu du supplice, Lecomte descend nu-pieds, s'agenouille quelques instants paraissant prier, avec auprès de lui un abbé. Après avoir gravi les degrés de l'échafaud, il se plaçe face à la foule pendant la lecture de son jugement. L'abbé lui présente une croix qu'il embrasse, puis il se livre aux exécuteurs qui lui enlève sa chemise blanche, son voile, et l'allonge sur la bascule. Le bourreau, Henri-Clément Sanson, actionne le levier qui fait tomber le tranchant, la tête de Lecomte roule dans un panir d'osier.

Une exécution publique à Paris au XIXe siècle.

Pierre Lecomte n'avait pour toute famille qu'une sœur, pauvre fille que le roi décide de pensionner. Elle refuse par fierté les largesses de Louis-Philippe en déclarant : « Je n’ai besoin de rien, je suis bien malheureuse et bien misérable, je meurs de faim à peu près, mais il me convient de mourir ainsi, puisque mon frère meurt comme cela. Qui fait mourir le frère n'a pas le droit de nourrir la sœur ». Le lendemain de l'exécution, le bourreau, Henri-Clément Sanson, est conduit en prison pour dette. Afin d’en sortir, il gage son outil de travail, la guillotine qui venait de couper en deux morceaux inégaux le forestier régicide. Sanson est connu des services de police, une fiche mentionne le fait suivant : « Henri Sanson fils, exécuteur des hautes œuvres, pédéraste effréné. Il vit avec un jeune homme, Hubert dit Petit Jean, qui est son aide-exécuteur »
 
Quelques années plus tôt, lors d’une exécution, un policier remarqua le nommé Petit Jean parmi les adjoints de Sanson. En raison de son attitude trop efféminée, il lui fut demandé de quitter immédiatement les lieux. Sanson est aussi connu pour avoir ouvert un « musée des horreurs » où, pour cinq francs, l’on pouvait assister à la décapitation d’un mouton grâce à la guillotine familiale surnommée la Louison. Moins d’un an après la mort de Lecomte, la justice demande à Sanson une nouvelle exécution, mais il n’a toujours pas récupéré son instrument, la veuve est toujours gagée. Le ministère décide alors de payer le créancier, Sanson récupére sa Louison et fait son office. Le jour suivant, 18 mars 1847, il est licencié pour faute grave. Sanson décide alors d’écrire les mémoires de sa famille : « Sept générations d'exécuteurs, 1688-1847 : mémoires des Sanson ».

(1) D'après Victor Hugo dans « Choses vues – première série, 1846 » chez Ollendorf 1913.

Sources :
- Interrogatoire de l'inculpé Lecomte, Cours des Pairs, imprimerie Royale, Paris mai 1846.
- Attentat du 16 avril 1846. Rapport fait à la Cour par M. Franck Carré, imprimerie Royale, Paris mai 1846.
- Comte rendu de l'exécution dans le journal Le Siècle en date du 9 juin 1846.
- L'illustration, journal universel, n°165 daté du samedi 25 avril 1846.