Carrefour Katherine Mansfield

En juin 1939, un carrefour de la forêt de Fontainebleau, situé à l'intersection des parcelles 373, 377 et 378, est nommé « Carrefour Katherine Mansfield ». La même année, une plaque commémorative est scellée dans un rocher de grès, parcelle 373, sur le sentier samoisien n° 13-15. Cette initiative a été prise par l'Association des Amis de la Forêt de Fontainebleau et le syndicat d'initiative de cette ville, en hommage à l'écrivaine Katherine Mansfield qui termina ses jours tout près de cette partie de la forêt, au Prieuré des Basses-Loges d'Avon.



LIFE NEVER BECOME A
HABIT TO ME, IT IS ALWAYS
A MARVEL
Ô VIE ACCEPTE MOI
KATHERINE MANSFIELD

LES AMIS DE LA FORÊT
LE SYNDICAT D’INITIATIVE
FONTAINEBLEAU JUIN 1939

Kathleen Mansfield Beauchamp est née le 14 octobre 1888 à Wellington en Nouvelle-Zélande dans une famille de la bourgeoisie puritaine. En 1903, elle s'embarque avec ses parents pour l'Angleterre. Après 42 jours de mer, elle découvre Londres à 14 ans et suit les cours du Queen's College. C'est à ce moment que s'éveille son goût pour la littérature, elle découvre l'œuvre d'Oscar Wilde et rencontre Ida Baker, qui deviendra son amie fidèle jusqu’à ses derniers jours. Kathleen publie quelques nouvelles dans le journal de l'école et signe Katherine Mansfield, nom qu'elle décide dorénavant de porter. En 1906, avec ces deux sœurs, elle retourne en Nouvelle-Zélande. Katherine supporte mal le joug d'une société qu'elle juge étriquée dans ce pays qu’elle trouve « sans histoire ». Elle publie d'autres nouvelles dans un journal local, puis décide de repartir pour l'Angleterre pour ne jamais revenir sur sa terre natale.

Katherine Mansfield vers 1910.

À Londres, elle habite dans une auberge de jeunesse et survit grâce à une modeste somme allouée par ses parents. En 1909, elle tombe enceinte et doit épouser le père, un jeune violoniste. Le jour des noces, célébrées en catimini avec un seul témoin, elle s'habille en noir et quitte son mari le lendemain, le divorce sera prononcé 9 ans plus tard. Portant l’enfant d’un homme qu’elle ne veut pas pour mari, elle se rend en Bavière où elle subit une fausse couche ou un avortement. Après une brève liaison avec un traducteur polonais qui lui fait découvrir la littérature russe, elle retourne à Londres où elle entame une collaboration avec le journal The new Age. En 1910, une grande exposition des peintres post-impressionnistes s'ouvre à Londres, Katherine est subjuguée par les toiles de Gauguin, Van Gogh, Matisse et Picasso.

Katherine Mansfield dans son appartement londonien de Queen's Club Gardens, vers 1914.

En 1911, elle publie In a German Pension (Pension de Famille) et rencontre John Middleton Murry, un écrivain, journaliste et critique littéraire qui devient son amant. Ensemble il mène une vie de bohème et se lie d’amitié avec l’écrivain David Herbert Lawrence et sa femme Frieda. Katherine travaille pour la revue Rhythm qui fait faillite, elle se bat pour la survie du journal qui renaît brièvement sous le nom de Blue Review, son père accepte de payer les dettes du journal. En 1912, elle visite Paris avec Murry et s'y installe quelques mois en 1913, elle fait alors la connaissance de l'écrivain Francis Carco dont elle tombe secrètement amoureuse.

 Katherine Mansfield par John Herbert Folker, 1917.

Pour elle, Francis Carco est « l'écrivain des bas-fonds », son univers est hanté par « les rues obscures, les bars retentissants des appels des sirènes, les navires en partance et les feux dans la nuit ». En 1915, elle rejoint Carco à Paris, qui est troublée par cette « rebelle et pure jeune fille ». Les deux amants se retrouvent à Gray en Haute-Saône où est mobilisé Carco en tant que qu'intendant des postes. Durant la Grande Guerre, cette ville est une halte importante pour tous les soldats permissionnaires, la ville est interdite aux femmes de soldats, pourtant Katherine réussit à passer les contrôles militaires pour retrouver Francis. Elle racontera cette aventure dans une nouvelle intitulée Le voyage indiscret.

Katherine Mansfield en 1916, photo d'Ottoline Morrelli et Francis Carco en 1923.

La relation entre Katherine et Francis Carco est un échec, un « amour voué au désastre », comme Carco le dira lui-même dans son livre publié en 1934 et intitulé Souvenir sur Katherine Mansfield. En 1915, Leslie, le frère de Katherine, est tué sur le front en France. Cette perte est très douloureuse pour Katherine, elle s'installe à Bandol pour quelques mois où elle écrit The Aloe. De retour à Londres, elle rencontre l'écrivaine Virginia Woolf qui devient son amie. C'est à cette époque que les premiers signes de la tuberculose apparaissent chez Katherine.

 Virginia Woolf par George Charles Beresford et Katherine Mansfield.

En mai 1918, elle épouse Murry qui devient rédacteur du journal The Athenaeum. En 1920 paraît son deuxième recueil, Bliss (Félicité) et en 1922, The Garden Party. Pour soigner sa maladie, elle fait de fréquents séjours à Menton sur la Côte d'Azur. En octobre 1922, elle décide de s'installer l’institut Gurdjieff situé au Prieuré des Basses-Loges d'Avon. Cet institut fut fondé par un étrange personnage, Georges Gurdjieff, sorte de gourou d'origine arménienne qui s'éxila suite à l'arrivée des bolcheviks en Arménie.

 Katherine Mansfield par Ida Baker à Menton en 1920.

 Katherine Mansfield et John Middleton Murry, son époux, vers 1920.

 Le Prieuré des Basses-Loges d'Avon.

Dans son institut d'Avon ainsi que dans celui de Paris et New-York, Gurdjieff enseigne un « christianisme ésotérique ». La vie et les soins dans cet institut sont pour le moins étranges, le matin commence avec une douche glacée, même l'hiver, puis on danse, on chante, on fait de la musique, on se promène dans le parc, on mange richement, Katherine écrit à son mari : « Quant à la cuisine, on dirait un festin de Gogol, de la crème, du beurre ... » Gurdjieff décide d'appliquer à Katherine un régime spécial, il achète et place des vaches dans une grange, installe la malade sur un sofa où elle doit respirer les effluves du troupeau, réputées bénéfiques pour ses poumons. L'hiver est rigoureux, Katherine se plaint du froid dans une des lettres qu'elle écrit à son époux resté à Londres. Les locataires russes et anglais qui logent chez Gurdjieff en sont réduits à chercher du bois mort dans la forêt toute proche.

 Georges Gurdjieff, 1866-1949.

Katherine s'éteint, terrassée par la maladie, le 9 janvier 1923, à 34 ans. L'écrivain Jean-François Revel, ancien disciple de Gurdjieff, très critique sur ce personnage controversé, lui impute la mort de Katherine : « Car le vieux charlatan prétendait détenir aussi des secrets médicaux issus d’une mystérieuse "tradition", censée être  plus efficace que la plate et "intellectuelle" médecine occidentale. Katherine Mansfield s’en serait remise à lui pour soigner sa tuberculose, ce qui ne pouvait de toute évidence avoir pour résultat que d’en hâter le cours fatal. »

 Katherine Mansfield vers 1922.

La même année que la mort de Katherine, est publié à Londres, par les soins de son mari Murry, son quatrième recueil de nouvelles, The Dove’s Nest (Le nid de colombes) ainsi que l’unique recueil de ses poèmes. Apprenant sa mort, Virginia Woolf écrira dans son journal « Je ne voulais pas me l'avouer, mais j'étais jalouse de son écriture, la seule écriture dont j'ai jamais été jalouse. Elle avait la vibration. » Katherine Mansfield est enterrée au cimetière d'Avon ou une rue porte son nom ainsi qu'à Menton.

 La tombe de Katherine Mansfield au cimetière d'Avon.
Photo de Bernard Bosque.

En 2014, au carrefour Katherine Mansfield, deux chênes ont été plantés, nul doute que cela aurait beaucoup plus à Katherine. À cette occasion une petite cérémonie hommage s'est déroulée en présence d’une délégation néo-zélandaise, de représentants de l’Office National des Forêts, des Amis de la Forêt de Fontainebleau et de la municipalité d’Avon. En 2006, au même endroit, deux alisiers avaient été planté par les écrivains et poètes néo-zélandais Fiona Kidman et Vincent O'Sullivan.

 Inauguration des arbres plantés en 2014, Carrefour Katherine Mansfield.

« All day long she spent in the forest, with the tress and the flowers and the birds. She seemed like a creature of the forest herself, sometimes. […] In the forest, in the forest, silence had cast a spell over all things. She plucked a great bouquet of daffodils and snowdrops, and tenderly held them to her, and tenderly kissed their fresh spring faces. She did not sing at all, but sat silent, expectant, and wondering, till her flowers faded and withered in her hands. The sun sank lower and lower. It hung like a great red ball over the sea, and then a sudden fear smote her heart. She feared the silence and the darkness and the forest. »

From the novel The lonely one, 1904. « Poetry and Critical Writings of Katherine Mansfield. » edited by Gerri Kimber and Vincent O’Sullivan, Edinburgh University Press 2014.


Les voix de l'air

Mais alors vient ce moment rare
Quand, sans que j’en trouve la cause,
Les petites voix de l’air
Retentissent plus fort que la mer et le vent.

La mer et le vent alors se soumettent
En soupirant, soupirant deux notes
De contrebasses, se contentent de jouer
Un accord ronronnant pour les petites gorges

Les petites gorges qui chantent et s’élèvent
Dans la lumière avec une belle aisance
Et une sorte de surprise magique et douce
De s’entendre et de se reconnaître

Comme ces petites voix : l’abeille, la mouche,
La feuille qui tapote, la cosse qui se brise,
La brise ondulant au sommet des herbes,
Le son perçant et rapide que fait l’insecte.


« Katherine Mansfield, Villa Pauline & autres poèmes »
traduction de Philippe Blanchon.


Tableau d’Anne Estelle Rice peint durant l’été 1918 
à Looe en Cornouailles. 


Prix littéraire « Katherine Mansfield »  

Katherine Mansfield Society