Morts pour la France, les fusillés de la plaine de Chanfroy.

En ce mois de juillet 1944, les combats font rage en Normandie, plus d’un mois après le débarquement, l’armée allemande est sur la défensive. Les renforts attendus de l’est ne viennent pas. Le 17 juillet, la voiture de Rommel est mitraillée par deux avions alliés, le renard du désert est grièvement blessé. Le 20 juillet, Hitler survit miraculeusement à un attentat, la tension est très forte chez les officiers allemands qui commencent à comprendre que la guerre peut être perdue. En Seine-et-Marne, l’aviation alliée bombarde les voies de communication et les usines depuis début juin. La ville d’Étampes est en partie détruite dans la nuit du 9 au 10 juin. Un millier de bombardiers ravagent la gare de Melun et les environs le 23 juin. 

Melun, angle rue du Coin Musard et rue Saint-Aspais, août 1944.

Les réseaux de résistance sont passés à l’action, les sabotages et les attentats entretiennent un climat d’insécurité pour l’armée allemande. Plusieurs groupes sont à l’œuvre. Le maquis Bara de Moisenay, village près de Melun est dirigé par un carrier, André Perret. Le groupe est arrêté le 11 juillet, suite à l’infiltration de faux résistants. Le maquis de Villebéon, village à l’est de Nemours, formé par les rescapés des maquis de l’Yonne Victoire et Liberté et Paul Bert, est démantelé le 7 juillet. Le maquis d’Achères-la-Forêt (1) est fondé par André Prenant en avril 1944. Parmi ces résistants, le garde forestier Laurent Poli connaît parfaitement la forêt et cache des volontaires venant de Paris dans une grotte située au Rocher de la Reine, tout près de la plaine de Chanfroy. Ce groupe comprend aussi Robert Rius, Charles-Jean Simonpoli, Germinal Matta, les frères Robert et Marc Ménégoz, tous issus du mouvement Surréaliste. Ce minuscule maquis, constitué de jeunes poètes, espère un hypothétique parachutage d’armes venant de Londres. Ils sont arrêtés le 4 juillet à Ury, suite à un guet-apens monté par la Milice et la Gestapo. Seul le forestier Vincent Poli, alias Julien, parvient à s'échapper, il est arrêté à son domicile quelques heures plus tard et rejoint ses malheureux compagnons à la prison de Fontainebleau où sévit le « bourreau de Seine-et-Marne », le tristement célèbre Wilhelm Korf (2), appartenant à la Gestapo de Melun.

Carrefour de la Résistance, plaine de Chanfroy.

Stèle du Carrefour Laurent Poli, route d'Orléans, D152.

La Gestapo de Melun fait tomber un à un les réseaux et maquis de la région, torturant et fusillant systématiquement. Des otages sont raflés en grand nombre, emprisonnés avec les résistants dans la prison de Fontainebleau. Le 21 juillet, 22 détenus, mains liées dans le dos, sont poussés dans un camion qui prend la route d’Étampes. Le 17 août, même scénario, 14 prisonniers sont emmenés vers une destination inconnue. Les deux convois n’iront pas bien loin, ils s’arrêtent à la plaine de Chanfroy, dans le massif des Trois Pignons. Là, deux fosses communes ont été creusées et tous les prisonniers sont abattus à la mitraillette, on retrouvera sur place un grand nombre de douilles de 9mm. C’est un massacre de la dernière heure, car l’armée allemande est en pleine déroute. Le 19 août 1944, la troisième armée américaine pénètre dans Achères-la-Forêt. Le 23 août, Fontainebleau est libéré et le 24 août, la 2e Divison blindée de Leclerc entre dans Paris.

Stèle commémorative des fusillés du 17 août 1944.

Le 7 décembre 1944, alors qu’ils viennent chercher du sable dans la plaine de Chanfroy, des soldats américains tombent sur des corps en creusant le sol. Les autorités françaises découvrent alors deux charniers et 36 corps sont sortis de terre, les identifications commencent. Le 14 décembre, des funérailles nationales se déroulent dans une chapelle spécialement aménagée sous le marché couvert de Fontainebleau. Gilbert Renault, dit le Colonel Rémy, raconte (3) que parmi les 14 corps des fusillés du 17 août, se trouve celui de Renard, pseudo du traître responsable de la mort de cinq religieux appartenant aux Oblats de La Brosse-Montceaux, près de Montereau. Les moines de cette communauté cachaient des armes et des munitions parachutées par les Alliès. C'est Wilhelm Korf qui investit le château de La Brosse-Montceaux, siège des Oblats où il fait torturer plusieurs religieux. La Gestapo trouve des voilures de parachute et leurs conteneurs dans un puits désaffecté mais il manque les armes. Krof s'acharne sur les Oblats qui refusent de parler et finit pas abattre cinq d'entre eux, leurs corps sont jetés dans le puits. Les victimes sont les frères Jean Cuny, Lucien Perrier, Joachim Nio et les pères Albert Piat et Jean Gi.

(1) : Cahiers du centre de recherche sur le surréalisme, n° XXV 2005.

(2) : Le criminel de guerre Wilhelm Korf, longtemps introuvable, est finalement arrêté par les Britanniques et transféré en France en 1953. Jugé et condamné à mort, sa peine est commué à dix ans de travaux forcés en 1957, il est libéré en 1963 ! « Gestapo et polices allemandes. France, Europe de l'ouest, 1939-1945 » Collectif CNRS Éditions 2017.

(3) « Mémoire d'un agent secret de la France libre, Tome 3, Le Livre du courage et de la peur. » Éd. Raoul Solar, 1946.


Exhumation des corps du charnier de Chanfroy, le 7 décembre 1944.

Les fusillés de la Plaine de Chanfroy ne sont pas les premiers patriotes morts pour la France en forêt de Fontainebleau. Le 8 novembre 1941, sur le champ de tir de Fay, près de Chailly-en-Bière, les Allemands fusillent cinq résistants communistes : Georges Leguay, Gaston Messence, Marcel Marneux, Pierre Berger et Clotaire Robba.


Stèle commémorative des fusillés du 8 novembre 1941, inaugurée en 1981.


Les 22 fusillés du 21 juillet 1944

Eugène Bailay (38 ans), résistant cheminot, maquis Bara de Moisenay. 

Marcel Calmel (23 ans), résistant du maquis de Villebéon. 

Robert Canaux (23 ans), résistant du maquis de Villebéon. 

Maurice Daudet (34 ans), Mouvement de Libération Nationale.

André David (25 ans), résistant, maquis Bara de Moisenay. 

Edgard Ferrand (43 ans), agriculteur, réseau FN-Vengeance.

Victor Gervaise (19 ans), résistant, maquis Bara de Moisenay. 

René Girard (24 ans), résistant du maquis de Villebéon, mouvement Volontaires Paysans et Ouvriers.

Raymond Golisset (24 ans), résistant du maquis de Villebéon. 

Albert Guard (20 ans), résistant du maquis Bara de Moisenay. 

Gilbert Ingrain (22 ans), résistant du maquis de Villebéon. 

Germinal Matta (19 ans), résistant du maquis d’Achères-la-Forêt. 

Marc Ménegoz (16 ans), poète surréaliste, résistant du maquis d'Achères-la-Forêt. 

Jean Méry (21 ans), résistant du maquis Bara de Moisenay. 

Léon Morel (48 ans) et son fils André Morel (20 ans), résistants du maquis de Villebéon. 

Bernard Ourteau (29 ans), résistant du maquis Bara de Moisenay. 

André Perret (45 ans) artisan carrier, chef du maquis de Bara de Moisenay.

Auguste Perret (23 ans), fils d'André Perret, résistant du maquis Bara de Moisenay. 

Laurent Poli (20 ans), garde forestier, résistant du maquis d’Achères-la-Forêt.

Robert Rius (30 ans), écrivain et poète Surréaliste, fondateur du maquis d'Achères-la-Forêt. 

Charles-Jean Simonpoli (33 ans), directeur de la revue « Les Cahiers de poésie », 
membre du maquis d'Achères-la-Forêt.

Excepté Edgard Ferrand, tous sont membre des F.T.P.F. : Francs Tireurs et Partisans Français, mouvement créé fin 1941 par le Parti Communiste Français.

Tombe de Marc Ménégoz dit Marco, cimetière de Fontainebleau.


Les 14 fusillés du 17 août 1944

André Berge (39 ans) chef militaire F.F.I. du secteur de Meaux, sous le pseudo de Ravin.

Marius Billard (55 ans) réseau Guérin-Buckmaster, résistant de Donnemarie.

Jean Bolastre (35 ans), Jean Etienne (34 ans), et Henri Rivoire, (29 ans), membres du réseau Résistance Nord, surpris lors d'un barrage alors qu’ils transportaient des armes dans leur camionette.

Claude Chailleux (21 ans), de l’organisation Vélite Thermopyle et Georges Papillon (33 ans), membre du mouvement Ceux de la Résistance, arrêtés à la gare de Melun, ils tentaient de fuir Paris suite à l’infiltration de leur réseau.


Marc Chemin (20 ans), résistant F.T.P.F. arrêté près de Marles-en-Brie. 

Jacques Desbois (44 ans), Capitaine F.F.I. de Seine-et-Marne.

Robert Fournier, il est arrêté au cours de l'attaque d’une D.C.A. allemand. 

Roger Genty (22 ans), de Montigny-sur-Loing, arrêté alors qu’il portait un revolver. 

Yves Masiée (47 ans), Colonel F.F.C. pour la Seine-et-Marne, sous le pseudo de Corret

Maurice Renoul, (50 ans) résistant de Nancy se rendant en mission en Seine-et-Marne. 

Le dernier corps n’a jamais été identifié.


Stèle des fusillés du 17 août 1944, plaine de Chanfroy.


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