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Monument Merwart

Paul Merwart, le destin tragique d'un « pompier romantique ».
 
Tout près de la croix d'Augas, se trouve un monument à la mémoire du peintre Paul Merwart, mort en Martinique, lors de l'éruption de la Montagne Pelée, le 8 mai 1902. Ce monument a été élevé à l'initiative de son frère Émile Merwart et fut inauguré le 16 juin 1906. Le portrait en médaillon de bronze est l'œuvre d'Ernest Dubois. Un second médaillon en marbre lui est consacré, il a été posé le 24 août 1952 dans la cour de la bibliothèque de Fontainebleau. Une rue de Fontainebleau porte son nom ainsi qu'à Kourou en Guyane. 
 
Monument Paul Merwart, forêt de Fontainebleau

Paul ou Pawel Merwart est né en Russie, le 27 mars 1855, dans le village ukrainien de Marianowka, gouvernement de Kherson, sa mère, d'origine polonaise, avait été mise en résidence surveillée car elle était l'épouse d'un soldat français. Après la guerre de Crimée, la famille Merwart vit à Lviv, en Pologne (aujourd'hui en Ukraine) où le jeune Paul est scolarisé. Il poursuit des études techniques à Graz en Autriche. Blessé en duel, il part en convalescence en Italie où il décide de se consacrer à l'art. Il étudie à Munich (1876) et Düsseldorf (1877). 
 
Monument Paul Merwart, forêt de Fontainebleau
La Dépêche coloniale illustrée, 31 mai 1902, portrait de Paul Merwart par Nadar.

De 1877 à 1884, il est étudiant à l'École des Beaux-Arts de Paris, il a comme maître le peintre Henri Lehmann, célèbre portraitiste et Isidore Pils, connus pous ses scènes militaires. Après ses études, il réalise de nombreux dessins pour la presse, notamment pour L'Illustration et L'Univers Illustrée, qui l'envoie en Russie, en Autriche, dans les Carpates et en Espagne. Il participe à illustrer L'Édition nationale de l'Œuvre de Victor Hugo. Il travaille à des décors de dioramas pour des musées et des décors de théâtre. En 1878, il participe à l'Exposition universelle de Paris, en 1879, il fait ses débuts au Salon officiel. Vers 1884, il devient citoyen français et s'installe définitivement à Paris où il a son atelier à Pigalle, au 13 avenue Frochot. 
 
C'est en voulant se perfectionner aux techniques du paysage que Paul Merwart découvrit la forêt de Fontainebleau. Vers 1882, il demanda à Philippe Rousseau, frère du peintre de l'École de Barbizon Théodore Rousseau, de le guider dans la forêt. Mais ce dernier se trouvant trop âgé pour se lancer sur les sentiers le recommanda au peintre Henri Harpignies qui l'aida à découvrir la forêt. Paul se plut à Fontainebleau où il passait deux à trois mois par an et où il acquit une propriété, au 27 rue Pierre Charles Comte, dans le quartier des Provenceaux. 
 
Monument Paul Merwart, forêt de Fontainebleau
Autoportrait de Paul Merwart.

Paul Merwart est un amoureux des voyages, il part vers la Russie, traverse les montagnes de l’Oural et navigue sur la mer Caspienne. Le jeune peintre aime les thèmes exotiques, ce qui le porte vers ce que l’on appelle alors, la peinture coloniale. Il s’embarque pour les Canaries, le Sénégal, le Soudan, la Tunisie et rapporte de nombreux dessins et tableaux. Le 6 juin 1895, il devient officiellement peintre des Colonies et en 1900, il est nommé peintre de la Marine, les voyages continuent. Il réalise plusieurs commande d'État dont le carton d'invitation pour l'inauguration du Pont Alexandre III en 1900 et dont l'original fut offert au tsar Nicolas II. Il peint le plafond du vestibul de l'École Coloniale et produit de nombreux tableaux destinés à l'Exposition Universelle de 1900. Sa réputation grandissante, il est nommé vice-président de la Société Coloniale des Beaux-Arts. 
 
Pose de la première pierre du Pont Alexandre III par le tsar Nicolas II.
Supplément illustré du Petit Journal, 18 octobre 1896.

Paul Merwart peut être classer parmi les peintres romantiques, avec un style pompier. Bien que l'origine du terme pompier reste incertaine, il désigne une peinture pompeuse, au style trop soignée, accumulant les détails, préférant les tons vifs. Le style pompier s'attache au classicisme, c'est un art académique formé et récompensé par les grandes institutions étatiques, École des beaux-arts, Académie, Salon. 
 
Monument Paul Merwart, forêt de Fontainebleau
Autoportrait de Paul Merwart.

En mars 190, très affecté par le décès de sa femme, Paul Merwart décide de quitter Paris et entreprend un nouveau grand voyage. Il traverse l'océan pour la Guyane, où son frère cadet Émile Merwart (1869-1960) occupe les fonctions de secrétaire générale de l'administration coloniale. Paul débarque à Cayenne le 28 juin 1901. Il se lance dans une grande exploration de la forêt tropicale. Il remonte le fleuve Oyapock, frontière naturelle avec le Brésil, puis il explore le fleuve Maroni, frontière avec la Guyane hollandaise. 
 
Le bagne de Saint-Jean du Maroni en Guyane, le camp des relégués après l’appel.
 
En août 1901, il s'embarque sur le fleuve Sinnamary avec l'explorateur David Levat qui a pour mission d'étudier un tracé de chemin de fer devant desservir Cayenne aux mines d'or. Ensemble, il remonte le fleuve jusqu'au sauts Vata et Taparoubo et aux sources de la crique Tigre, sites particulièrement sauvages mais pittoresques à souhait pour le peintre. Il séjourne chez les amérindiens Palicours et dans les villages des noirs marrons Saramacas. Durant son séjour guyannais, Paul Merwart fait de nombreux dessins et réalise plusieurs tableaux. Mais sa santé se dégrade, les fièvres tropicales l'épuise, il décide de rentrer en France. Avant son départ, du 23 au 30 mars 1902, il expose au musée local de Cayenne (actuel musée Alexandre-Franconie)  de nombreux dessins et tableaux. 
 
Monument Paul Merwart, forêt de Fontainebleau
Inauguration au cimetière de Cayenne, le 31 août 1901 du monument commémoratif 
de la collision meurtrière survenue le 5 mai 1895 à Mapa entre les troupes françaises 
et une bande d'irréguliers armés. Musée Alexandre-Franconie.
 
Le 3 avril 1902, il quitte la Guyane et embarque pour retourner en métropole. Le 17, en escale à la Martinique, il décide de s'y installer pour quelques semaines afin de terminer ses travaux d'illustration destinés à une série de timbres-postes pour les colonies françaises. Dans une lettre à sa mère, il écrit : « J'avais une envie folle de ne pas débarquer, de filer directement sur Saint-Nazaire avec mon bon navire Versailles ; mais le devoir avant tout, le devoir de l'étude à faire pour mes timbres. » 
 
Saint-Pierre, Martinique, Paul Merwart
 Saint-Pierre avant l'éruption de la Montagne Pelée, fin XIXe siècle.
 
Le 23 avril, le volcan de la montagne Pelée entre en éruption. Paul est fasciné par le spectacle volcanique, il écrit sa mère : « J'ai organisé une expédition et fait lundi 28 avril l'ascension la plus pénible et aussi la plus intéressante jusqu'à ce nouveau lac et aux cratères. Malgré le vent et la pluie constante, nous sommes restés dans les nuages de neuf heures du matin à trois heures de l'après-midi. j'ai pu prendre néanmoins des photos, des croquis et une pochade. » Dans une autre lettre, en date du 3 mai 1902, il écrit à propos de l'éruption : « Un phénomène analogue s'était produit en 1851. Les cendres ont duré deux jours et ont cessé de tomber sans suite. Espérons pour la ville et pour la colonie qu'il n'en ira pas plus mal cette fois-ci. Cependant, s'il pouvait y avoir un beau feu d'artifice, cela me comblerait d'aise.»
 
Monument Paul Merwart, forêt de Fontainebleau
Supplément littéraire illustré du Petit Parisien, 25 mai 1902.

Il n'y aura pas de nouvelle lettre de Paul Merwart à sa mère. Le feu d'artifice souhaité par le peintre a eu lieu le 8 mai 1902, jeudi de l'Ascension, vers 8h du matin. Dans une formidable explosion, le volcan projette sur la ville de Saint-Pierre une nuée ardente (coulée pyroclastique) faite de cendres, de pierres et de gaz enflammés qui recouvre la ville et toute la rade. L'onde de choc et la chaleur sont telles que tous les habitants trouvent une mort immédiate tandis que la cité portuaire devient un impressionnant tas de ruines et de cadavres calcinés. En une minute, environ trente mille personnes trouvent la mort dans l'une des plus meurtrières éruptions volcaniques de l'histoire. 
 
Monument Paul Merwart, forêt de Fontainebleau
Nuée ardente du 16 décembre 1902, publié dans La montagne Pelée et ses éruptions.

Paul Merwart est tué dans l'éruption explosive. Nombre de ses travaux réalisés en Guyanne disparaissent. Néanmoins, il avait pris la précaution d'envoyer en métropole quelques peintures et aquarelles illustrant la Guyane avant de s'embarquer pour la Martinique. 
 
Ruines de Saint-Pierre après l'éruption du 8 mai 1902. Library of Congress.

À Saint-Pierre, le désastre est apocalyptique. Un télégramme en date de 11 mai relate les observations faites par l'équipage du bateau Rubis parti à la Martinique pour porter les premiers secours : « Devant Saint-Pierre, la plage et la mer sont couvertes jusqu'à plus d'un mille au large d'épaves de navires. Les canots du bords accostent difficilement. La chaleur est accablante. Les rues sont encombrées de cadavres ; quelques murailles sont encore debout. L'horloge de l'hôpital est intacte ; elle marque sept heures cinquante. Il n'y a pas d'eau dans la ville. On ne remarque rien de vivant, mais des épaves, des cendres, des nuages, des débris fumants, on entend des grondements souterrains. Dans les quartiers du Fort et de centre, il n'y a que des ruines fumantes, aucun mur n'est debout, la grille du palais du gouvernement est intacte. Partout, les murs sont calcinés ; il n'y a plus que des traces de rues. On reconnaît la douane et les grands magasins. dans ces parages, on aperçoit de nombreux cadavres, dans des attitudes diverses, complèment nus, les traits calcinés. neuf personnes de la même famille sont retrouvées étroitement enlacées ». 
 
Monument Paul Merwart, forêt de Fontainebleau
Ruines de Saint-Pierre après l'éruption du 8 mai 1902.  Library of Congress.
 
Quelques années après la catastrophe, le colonel de gendarmerie Didier raconta qu'il était en compagnie de Paul Merwart la veille de l'explosion de la montagne Pelée, juste avant de s'embarquer et de quitter Saint-Pierre. D'après lui, Paul Merwart était en train de peindre un tableau du volcan en éruption, s'émerveillant des couleurs du spectacle. Le militaire lui suggèra de partir, le danger étant trop grand — « Vous n'avez donc pas peur de la mort ? » lui dit-il, et Merwart lui répondit en haussant les épaules — « Allons donc ! La mort, un ticket de sortie que chacun de nous prend en entrant ! »
 
Mort de Pline l'Ancien
Mort de Pline l'ancien, Pierre-Henri de Valenciennes, 1814, collection particulière.
 
Paul refusa de s'arracher à son œuvre et la nuée ardente le tua le pinceau à la main, à l'âge de 47 ans. Sa mort est comparable à celle de l'écrivain romain Pline l'ancien, survenue lors de l'éruption du Vésuve qui ravagea la ville de Pompéi en 79 de notre ère. 
 
Monument Paul Merwart, forêt de Fontainebleau
Ruines de Saint-Pierre après l'éruption du 8 mai 1902.
 
Derrière le médaillon du monument qui lui est consacré en forêt de Fontainebleau, ont été placés les restes du peintre retrouvés au cours des fouilles pratiquées après la catastrophe, dans les ruines du palais de l'Intendance. Ces recherches furent faites à l'initiative de son frère Émile. Celui-ci avait entrepris de recueillir quelques objets ayant été en la possession de son frère car sans espoir de retrouver le corps. On pensait que Paul avait disparu alors qu'il était mer lors de l'explosion. 
 
Paul Merwart, Fontainebleau
Le médaillon de bronze du monument Merwart, œuvre d'Ernest Dubois (1863-1930).

Le 29 octobre 1903, les fouilles ont amené la découverte, dans les décombres de l'édifice où le peintre avait son atelier, de corps en partie calcinés. Sur les cadavres étaient encore adhèrents quelques menus objets, boutons de chemise, débris de lorgnon encastré dans l'orbite... Après un contrôle attentif, un corps a été formellement reconnus comme étant celui de Paul Merwart (1). Ces restes ont été rappatrié en France et ils ont été placés dans une urne, scellée dans la roche et qui porte l'inscription suivante : 
 
ICI SONT ENCLOS LES RESTES MORTELS DU PEINTRE PAUL MERWART NÉ LE 27 MARS 1855 VICTIME DE L'ÉRUPTION VOLCANIQUE DU MONT-PELÉ DANS L'ÎLE DE LA MARTINIQUE, LE 8 MAI 1902. SES RESTES FURENT RETROUVÉS LE 20 OCTOBRE 1903 SOUS LES DÉCOMBRES DU PALAIS DE SAINT-PIERRE ET RAMENÉ EN FRANCE AU MOIS DE MAI 1904 PAR LES SOINS PIEUX DE SA FAMILLE 
 
Monument Paul Merwart, forêt de Fontainebleau

Note (1) : Émile Merwart affirma avoir découvert et identifier trois corps dans les ruines de l'Intendance, hôtel du gouvernement, celui de son frère Paul et ceux du gouverneur de la Martinique, Louis Mouttet et de son épouse. La famille du gouverneur réfuta l'annonce d'Émile Merwart, selon une autre version, le gouverneur, sa femme et le peintre Paul Merwart sont mort en mer submergé par la nuée ardente, au moment où, dans un canot, il se dirigeait vers la montagne pour observer l’éruption de plus près.
 
Hélène et Louis Mouttet, Martinique
Le gouverneur de la Martinique, Louis Mouttet et son épouse, 
victimes de l'éruption du 8 mai 1902.
 
Monument Paul Merwart, forêt de Fontainebleau
Le monument Merwart en forêt de Fontainebleau. 
 
Monument Paul Merwart, Fontainebleau
Le Monument Merwart avant sa restauration en 2020. 
 
Monument Paul Merwart, Fontainebleau
Le monument Merwart après sa restauration.
 
Monument à Paul Merwart, Médiathèque Municipale de Fontainebleau.
Monument à Paul Merwart, Médiathèque Municipale de Fontainebleau,
posé le 24 août 1952, œuvre d'Ernest Dubois.
 
 
Œuvres de Paul Merwart
 
Saint-Louis du Sénégal, vue du fort.

Les porteurs de sel.
 
Femme créole en tenue typique, Cayenne 1901.


Le déluge ou Deucalion portant sa femme Pyrrha, d'après le poème d'Alfred de Vigny.
Galerie nationale d'art de Lviv, Ukraine. 
 
Mademoiselle Dévèra des Bouffes Parisiennes, 1881, collection privée.
 
Avant la tempête, 1880.

Portrait de femme.

 

 Portrait de femme.

 

   Portrait de femme.

 

    Portrait de femme.

 

  Adam et Éve.

 

  Sur une balançoire, 1881.

 

 Allégorie du Jour et de la Nuit, 1879.

 

L'atelier du sabotier.

 

Le foyer de la Comédie Française.

 

Sur les bords de l'eau.

 

Portrait de femme.

 

 Portrait de femme.

 

  L'écrivain.

 


 Le perroquet blanc.



 Le petit chaperon rouge.


La conversion d'Adolphe Retté


Adolphe Retté le 2 janvier 1894.
Photo anthropométrique d'Alphonse Bertillon.
Collection Gilman. Métropolitan museum of art, New-York.
Motif de l'arrestation : cris séditieux.

Adolphe Retté est né à Paris, rue Laval, le 25 juillet 1863. Son père, Auguste Retté, est éditeur de musique, sa mère se nomme Élise Borgnet, elle est musicienne et donne des cours de chant. Son enfance est malheureuse, ses parents se déchirent et se désintéresse de lui. À l'âge de douze ans, il est mis en pension au collège Cuvier à Montbéliard. Il revient à Paris cinq ans plus tard, en 1880, et habite avec sa mère et ses deux sœurs. Son père est mort, il vivait à Saint-Pétesbourg et fut le précepteur des fils du grand-duc Constantin, il ne venait que rarement visiter sa famille restée en France.

Ne voulant pas faire d'étude, le jeune homme est placé chez un commerçant comme apprenti, mais il ne montre aucun attrait pour cet emploi. Il décide alors de s'engager pour cinq ans dans la cavalerie, au 12e cuirassier qui tenait garnison à Angers, là il prend plaisir au dressage des chevaux. Durant son service, il découvre Balzac et le démon de la littérature prend une telle ampleur dans son esprit de jeune homme, qu'il décide de ne pas prolonger sa carrière militaire.

 Adolphe Retté par Léo Gausson, 1894.
Dessin paru dans le n°139 du 1er février 1895 de La Plume.

En janvier 1887, il s'installe à Paris dans une mansarde et décide de se consacrer à la littérature. Une tante lui assure une maigre rente qui lui permet à peine de survivre. Pour améliorer l'ordinaire, Retté effectue de menus travaux d'écriture, il rédige une brochure pour le compte d'un entrepreneur qui voudrait construire un métro à Paris, rédige des monographies sur les métiers parisiens, fait des recherches à la bibliothèque Nationale pour le compte d'un historien, publie dans quelques revues des reportages « pris dans des milieux picaresques ».

 Adolphe Retté.

Retté publie son premier recueil de poésie en 1889, intitulé Cloches en la nuit et dédié au poète Gustave Kahn. Sa seconde publication Thulé des Brume, œuvre en prose, connait un certain succès d'estime. Avec d’autres auteurs, il participe à la création de plusieurs revues littéraires comme : Art et Critique, l’Ermitage, la Plume, Le Mercure de France... Dans La Plume, Retté publie des critiques mordantes, sacarstiques et acerbes contre « les écrivains à faux nez, les transfuges, les théosophes ennuyeux et pernicieux, les échappés du poulailler normalien, le rimeur d'occasion dont la cendreuse poésie discrédite le mouvement symboliste. » On le surnomme « l'enfant terrible du symbolisme », car bien que défendant l'essentiel de cette doctrine littéraire, il se plaît à railler les exagérations de la nouvelle école. Il s’attaque à Malarmé, le chef de file des symbolistes, qu’il juge « rhéteur abscon », il fréquente à quelques reprises les fameux mardis chez Mallarmé à Vulaines, trouvant ces réunions, soporifiques et frigorifiques.

 Dessin de Fernand Fau et Adolphe Retté à Lourdes en 1908.

En 1894, après une condamnation pour outrage à l’autorité, il passe un séjour d'un mois dans la prison Mazas, située en face de la gare de Lyon. Paris l'étouffe et son expérience carcérale le pousse à prendre la clef des champs. Il quitte Paris pour Guermantes, un petit village dans l’est de la Seine-et-Marne, dont la situation sur une colline boisée lui plaît beaucoup. Là, il habite avec Lya, son épouse, « femme profondément chrétienne, intelligente et dévouée que j'ai perdue en 1901. » Sur sa tombe il fait graver les vers suivants :

Elle dort, son âme voyage,
Murmurante, dans le feuillage
Du pin, de l'orme et du bouleau ;
Gramen léger, rose sauvage,
Inclinez-vous sur son tombeau,
Ramiers, roucoulez en cadence
Et vous, grands vents, faites silence :
    Elle dort.


Dès l'année 1900, Retté fréquente régulièrement la forêt de Fontainebleau et tombe sous le charme de la célèbre et antique sylve. Déjà, à Guermantes, il avait succombé aux attraits de la nature qui avait su l'inspirer, car il publia en 1894 un recueil de poèmes intitulé La Forêt bruissante. À Fontainebleau, le poète cherche la vérité au sein des anciennes futaies, à la recherche du dieu Pan. Il s'installe à Arbonne-la-Forêt, « ici la population se composait, par moitié environ, de producteurs d’asperges et de bûcherons exploitant, pour la boulangerie et les poteaux de télégraphe, les plantations de pins du bornage. Là, on cultivait la betterave et le blé ».


Sa présence dans la région est connue, car on lui demande de rédiger quelques vers en hommage à Charles Colinet, le successeur de Claude-François Denecourt. Le sonnet sera gravé dans le bronze et scellé sur une paroi de grès le 27 mai 1900 lors d'une cérémonie pour célébrer les 25 ans de Colinet au service de la forêt. Devenu un bon connaisseur de l’histoire du château et de la forêt, il publie en 1902 un guide qui sera plusieurs fois réédité. En 1903, il publie un livre d’anecdotes intitulé Dans la forêt, Impression de Fontainebleau. En 1905, il publie Virgile puni par l’amour, contes de la forêt de Fontainebleau.  


Contrairement à la forêt qui l'entoure, Retté n'aime pas la ville de Fontainebleau, ville de garnison, il écrit dans la revue Arabesques que ses rues sont « pleines de bicyclistes et pullulantes d'officiers dont la physionomie offre, comme partout, ce mélange d'arrogance et de stupidité propre aux professionnels du meurtre patronné par les gouvernements. » Dans les bistrots de la ville, devant des parterres d'ouvriers, Retté prêche le socialisme, l’anarchie, la révolution : « Demain, nous refondrons les sabres et les baïonnettes pour en forger des pelles et des charrues. Demain, le cadavre de la Bourgeoisie nous servira pour fumer la terre. » Il milite et s'insurge : « Guerre au prêtre, guerre au capitaliste, guerre au soldat, et vive la sociale ! » Puis toute l'assemblée entonne en chœur l'Internationale.

 Le Père peinard, journal anarchiste.

Mais le doute s’installe dans l'existence d'Adolphe Retté, la philosophie matérialiste ne suffit plus à le soutenir moralement, il cherche un peu de soulagement,  il écrit : « Deux sentiments me soutenaient un peu et me valaient parfois quelque joie : ma prédilection pour la forêt de Fontainebleau et mon amour pour l'art. La forêt, elle m'était auxiliatrice, j'y connaissais des heures d'inspiration et de recueillement dans la solitude. Là, je pouvais m'entretenir avec mes frères les arbres. Admirer, pénétrer l'harmonie profonde des futaies, composer et me réciter des vers sous bois, c'étaient mes récréations les plus chères. Et je m'épanouissais ».

N'aimant pas les relations avec les habitants de Fontainebleau, Retté fait société avec les arbres de la forêt. Il se félicite d'en connaîtres un grand nombre; il a ses favoris qu'il fréquente assidûement et leur découvre une personnalité qu'il juge supérieure à celle de beaucoup d'hommes. Mais cette forêt qu'il aime tant est un secours qui ne lui suffit pas.


Il s'essaye au panthéisme, ce qui le ramène encore plus ardemment à ses chers arbres : « Je crus alors découvrir mes dieux, parcelles de la substance indéfinie, sous l'écorce des chênes et dans le feuillage des hêtres. J'adressais des prières aux bouleaux. La rosée, sur les fleurs d'or des genêts, m'apparaissait comme une eau lustrale ». Mais la forêt ne lui apporte pas les réponses aux questions que le taraudent : « Je fus bien forcé de m'avouer que la Nature, sous son masque de sérénité, cache une face d'airain ». Retté est en plein tourment, « Un jour, le socialisme et son utopie de progrès infini ressuscitaient. Le lendemain, Aphrodite et Dionysos chantaient furieusement la volupté, en choquant leurs coupes d'or, dans mon cerveau ».

 « Faun und Jünglin », Hans Thoma, 1887.

À violente nature, réaction violente ! Retté va se donner à Dieu aussi complètement qu'il s'est donné à la poésie et à l'anarchie. En juin 1905, il se dirige vers le Mont Ussy, traverse la grotte des Montusiennes, avec en poche la Divine Comédie de Dante, il se pose sous un arbre et relit pour la énième fois le passage où Dante et Virgile viennent de quitter l'Enfer et s'arrêtent sur le rivage d'une mer mystérieuse, au pied de la montagne du Purgatoire. Il est alors pris d'un malaise, il se met à trembler, le livre de Dante lui tombe des mains, il est comme ébloui par une lumière intérieure. Il a pris conscience que Dieu peut le pardonner : « Je pourrais me laver de mes ordures, être sauvé ? … mais alors, mais alors, c'est donc que Dieu existerait ? »


L'illumination qu'il est en train de vivre perd peu à peu de sa puissance, il se remet à marcher, les joues couvertes de larmes, en se répétant : « Existe-t-il ? Existe-t-il ? » Il poursuit son chemin et pénètre sous les frondaisons de la futaie de Nid-de-l’Aigle. Là, il s’éloigne du sentier et s’enfonce au milieu des arbres séculaires où il se met prier. Un bruit le fait sortir de sa prière, il aperçoit sur le sentier un vieux prêtre qui marche, un bréviaire à la main. « Quand il fut arrivé à la hauteur du chêne où je m’appuyais, il prononça ces mots que je saisis très distinctement : — Et Verbum caro factum est : Et habitavit in nobis … À l’ouïr, un frisson me passa par tout le corps. Je me répétai tout bas : — Le Verbe s’est fait chair ; il habita parmi nous ! » Au moment même où il venait de remettre son âme dans les mains de Dieu, les paroles du prêtre, récitant la phrase prologue de l’Évangile de Jean, arrivent comme un miracle. Retté est converti, il sort brusquement de son fourré dans un grand fracas de branches et court vers le prêtre pour lui demander de prier pour lui et l’homme d’Église le bénit.


Après cette première expérience, qui agit fortement sur son âme et qui le mènera bientôt à la conversion, Retté rentre à Paris où il a beaucoup de mal à renouer avec le milieu littéraire. Il se tourne vers le poète François Coppée, catholique convaincu, qui le soutient dans cette période de transition difficile. Mais le retour dans la capitale lui est pénible « Depuis douze années que je vivais à la campagne ou dans les bois, j'avais perdu l'habitude de la grand'ville ordurière et bruyante ».

La grâce qui l'a touché dans la forêt de Fontainebelau semble vaciller dans l'atmosphère malpropre de la ville. Retté tombe malade, l'air de Paris ne lui convient pas, il dépérit par nostalgie de la campagne et de la forêt. Il n'ose rentrer à Recloses où il vit en concubinage avec « la femme aux yeux noirs ». Leur relation, qui dure depuis quatre années est orageuse, faite de scènes qui l'épuise. Retté retourne dans la région de Fontainebleau et s'installe dans une auberge d'Arbonne, « j'étais heureux d'aller revoir mes frères les arbres, mais surtout, je sentais, et cela de la façon la plus nette, que sous leurs ombrages, il se passerait quelque chose de décisif pour moi ».

Arbonne-la-Forêt au début du XXe siècle.

Tout heureux de retrouver sa chère forêt, ses longues marches l'amènent au Rocher de Cornebiche au sommet duquel se trouve une petite tour, oratoire surmonté d'une statue de Notre-Dame-de-Grâce. Cet oratoire fut édifié par la famille Poyez de Melun. La femme de M. Poyez, célèbre avocat, tomba gravement malade, les médecins n'arrivant pas à s'accorder sur l'origine du mal, ne trouvèrent aucun remède. Le couple, fort pieux, invoqua le secours de la Sainte Vierge, un mieux se déclara immédiatement et bientôt madame Poyez fut complètement rétablie. Le couple décida de construire un oratoire qui serait dédié à la vierge. « Sur ces entrefaits, M. Poyez fut chargé par la municipalité d'Arbonne de défendre ses intérêts dans une affaire de terrains contestés entre la commune et le châtelain de Courances. M. Poyez gagna le procès et, refusant les honoraires qu'on lui offrait, demanda qu'on lui fît cadeau du sommet de Cornebiche — ce qui lui fut accordé de grand cœur. Aussitôt, il mit des ouvriers à l'œuvre et l'oratoire fut rapidement construit, malgré les difficultés que présentait l'accès au site. »

 Oratoire Notre-Dame-de-Grâce, Rocher de Cornebiche.

Par une splendide matinée de septembre 1906, après avoir gravi tout haletant le rocher de Cornebiche, Retté se sent l'âme soulevée d'un transport irrésistible. Il se mit à genoux et joignant les mains dit à la Vierge : « Vous voyez, quelque chose m'a commandé de venir à Vous et je suis venu... Ô vous que je n'ai pas encore invoquée, Vous, vers qui les fidèles se tournent en leurs afflictions, s'il est vrai que vous soyez la médiatrice toute-puissante, priez votre Fils de m'indiquer ce que je dois faire maintenant. » Alors une voix très douce, tout au fond de son cœur, lui répondit : « Va trouver un prêtre. Libère-toi du fardeau qui t'accable ; puis entre délibérément dans le sein de l'Église ».

Notre-Dame-de-Grâce, Rocher de Cornebiche.

Mais le conflit recommence et Retté veut rester libre, l'orgueil le retient. Le poète tombe dans un grand découragement, une nuit dans son lit à l'auberge d'Arbonne, il décide de se pendre au crochet du plafond de sa chambre. Une corde est dans l'amoire, il saute au bas de son lit pour courir chercher cette corde que le perdra « mais alors je me sentis comme dédoublé. Une moitié de mon être voulait le suicide sans retard, sans réflexion. L'autre résistait, appelait mentalement au secours ». Il tient la clef qui ouvre l'armoire quand soudain une lumière éblouissante se fait dans son âme et il entend une voix céleste crier : « Dieu, Dieu est là ! » Il voit au-dessus de lui le Christ en croix qui lui sourit avec miséricorde. Une grande paix l'envahit, il est persuadé que c'est la Vierge de Cornebiche qui est venue à son secours lors de cette nuit où il allait mettre fin à ses jours, elle l'a sauvé et il fallais aller la remercier. Dès que l'aube glisse ses lueurs à la fenêtre de sa chambre, Retté retourne à Cornebiche, gravit le rocher et se prosterne en larmes devant l'oratoire. Après avoir longtemps pleuré, il déclare à la Vierge : « Auguste Mère, achevez votre œuvre. Je ne résiste plus, je suis tout à vous et je suis sûr que vous m'indiquerez ce qu'il me reste à faire pour rentrer dans l'Église ».

 Vierge de Cornebiche.

En descendant du Rocher de Cornebiche, il décide d'aller à Paris trouver son ami le poète François Coppée afin qu'il le mette en relation avec un prêtre qui pouvait entendre sa confession, sa conversion. François Coppée lui suggère d'aller voir l'abbé Motet de l’église Saint-Sulpice. Muni d'une lettre de recommandation, Retté se rend dans le quartier de l'Odéon, entre dans le presbytère, monte l'escalier vers la cellule qu'on lui a indiqué, frappe à la porte le cœur battant et une parole de Byron lui revient à la mémoire : « C'est ici un de ces relais où les Destins changent de chevaux ». L’abbé de Saint-Sulpice le soutient, le confesse et l’amène à sa première communion qui a lieu le 13 octobre 1906.

 François Coppée par Nadar, vers 1890.

En 1907, l’année qui suit sa conversion, Retté raconte son expérience religieuse dans un livre intitulé : Du Diable à Dieu, histoire d’une conversion. Son écriture désormais se veut missionnaire, il renie ses œuvres antérieures. De 1907 à 1926, Retté va mener une vie errante, vivant ici ou là, dans des monastères ou dans un coin ignoré d'une ville religieuse, il publiera encore dix-neuf livres en vingt-trois ans. À la mobilisation de 1914, Retté à 51 ans, en novembre il s'engage comme infirmier à Marseille puis il part pour le front en Champagne. Il y reste environ quatre mois et se fait évacuer en mars 1915, reconnu inapte, il est réformé en juin 1915. Il publiera en 1918 ses souvenirs de guerre dans un ouvrage intitulé Ceux qui saignent.

Retté qui fut dreyfusard, adhère aux idées propagées par l’Action Française et devient un militant monarchiste, il entretien une correspondance avec Charles Maurras qu'il a rencontré pour la première fois au café Voltaire en 1890 et il devient un farouche antisémite. Il publie plusieurs articles où il critique violemment Victor Hugo. À contrario, Retté admire l’œuvre de Verlaine qu’il fréquentait dans sa jeunesse alors que l’auteur des Fêtes galantes vivait ses derniers jours. Il estime que Verlaine est un vrai « classique gallo-latin » et l’oppose à la « nuisance » des  écrivains juifs.


En mai 1922, alors que les aubépines sont en fleurs, Retté se rend à Fontainebleau pour sa dernière grande promenade dans la forêt, son ami Marius qui l'accompagne écrira plus tard : « Il faut avoir vu Retté en forêt pour comprendre sa passion pour les arbres, qu'il semblait connaître tous en effet, touchait du doigt au passage, ou caressait en les enlaçant fraternellement ». En 1924, malade, il se retire à Beaune, il pensera toujours à sa chère forêt de Fontainebleau qu'il ne reverra plus. Il termine sa vie dans la pauvreté, aidé par une dominicaine du Carmel du culte de l’Enfant Jésus, situé non loin de son domicile. Après sa mort, survenue le 8 décembre 1930, ses manuscrits furent déposés aux Archives municipales de Beaune.


« Comme Toi, comme tous, je suis le fils de la chute et je porte le fardeau du péché. Comme Toi, comme tous, je suis tenté constamment et je céderais à mes passions, si je n'avais appris à les vaincre. »  
Adolphe Retté dans Le règne de la bête, 1908.

Sur l'ancien sentier des Gorges d'Apremont, Charles Colinet baptisa une grotte du nom d'Adolphe Retté.

La grotte du poète en hommage à Adolphe Retté.

Adolphe Retté, 1863-1830.



Bibliographie d'Adolphe Retté

Vers

Cloches dans la Nuit, 1889.
Une belle Dame passa, 1893.
L'archipel en Fleurs, 1895.
La Forêt bruissante, 1896.
Campagne première, 1897.
Lumières tranquilles.
Les Blessés.
Œuvres complètes, bibliothèque Artistique et Littéraire, Société anonyme La Plume, 1898.
Contient : Poésie. I, Cloches dans la nuit. Une belle dame passa. 1887-1892. Prose. I,
Rapports sexuels. Passantes. Paradoxe sur l'amour. Trois dialogues nocturnes. Un assassin.

Prose

Thulé des Brumes, 1889.
Réflexion sur l'anarchie, Promenades subversives, La Brochure Mensuelle, 32 pages, 1894.
Trois Dialogues nocturnes, 1895.
Similitudes, 1895.
Aspects, 1897.
XIII Idylles diaboliques, 1898.
Arabesques, 1899. (Pages sur la forêt.)
La seule Nuit, 1899.
Mémoires de Diogène, 1903.
Le symbolisme, Anecdotes et Souvenirs, 1903.
Dans la Forêt, Impression de Fontainebleau, 1903.
Virgile puni par l'Amour, Contes de la Forêt de Fontainebleau, 1905.
Fontainebleau, la Ville, le Palais, la Forêt, sans date.
Du Diable à Dieu, histoire d'une conversion, 1907.
Le Règne de la bête, 1908.
Sous l'étoile du matin, étude de psychologie et de mystique, 1910.
Dans la lumière d'Ars, 1912.
Au Pays des lys noirs, Souvenirs de jeunesse et d'âge mûr, 1913.
Quand l'Esprit souffle, 1914. 
Ceux qui saignent, 1918.
Sainte Marguerite-Marie, Vie de la Révélatrice du Sacré-Cœur, 1920.
Lettres à un Indifférent, 1921.
Louise Ripas, une miraculée de Lourdes, 1922.
Le Soleil intérieur, 1922.
Léon Bloy, essai de critique équitable, 1923.
La Maison en ordre, comment un révolutionnaire devint royaliste, 1923.
Les Rubis du calice, 1924.
La Basse-cour d'Apollon, mœurs littéraires, 1924.
La conversion, 1926.
Jusqu'à la fin du monde, 1926.
Un séjour à Lourdes, journal d'un pèlerinage à pied, 1926.
Le Voyageur étonné, 1928.
Oraisons du Silence, méditations en prose, 1930.
En attendant la fin, 1933, œuvre posthume.

Biographies

Adolphe Retté, 1863-1930. Marius Boisson, 1933.
La vie populaire d'Adolphe Retté. Robert de Smet, 1937.
Les expériences mystiques d'Adolphe Retté. Rodolphe Hoomaert, 1945.
Adolphe Retté - L'enfant terrible du symbolisme. Annie Boucher-Cugnasse, Les éditions Maïa, 2020.